À la source
Entretien avec Christiane Véricel
Propos recueillis par Nicolas Roméas
Ce ne sont pas seulement des enfants, ou des gens qui ont commencé très jeunes avec la troupe et ont grandi avec elle, ce sont aussi des personnes de différentes cultures amenées
à travailler ensemble et qui sont, pour cette raison, dans l’obligation de retrouver l’usage d’un métalangage. L’usage d’un outil qui fait appel, au-delà de la langue, à tous les autres signes, aux codes individuels et collectifs qui engagent le corps, l’émotion, la voix. Le langage du théâtre.
Ce que nous reconnaissons ici, c’est la puissante fonction sociétale d’un art collectif dont l’agora athénienne ou les rituels africains tiennent lieu de références mythiques, de paradigme perdu pour tenter de nous consoler de sa rareté.
Une fonction infiniment plus importante que ce qu’en disent la plupart des gloses de critiques spécialisés. Un apprentissage collectif qui nous rappelle la manière dont les rôles sociaux se construisent et la marge de manœuvre dont nous disposons pour jouer avec eux. La manière dont ils nous permettent d’exister face aux autres, de partager des valeurs inscrites dans la trame de narrations épiques ou plus quotidiennes en apparence. Une fonction qui a beaucoup à voir avec l’apprentissage de la vie collective que traversent les enfants d’humains.
C’est pourquoi le travail de Christiane Véricel avec Image aiguë est important : il montre et fait partager ce moment où la fonction essentielle et immémoriale de l’outil théâtre peut retrouver sa force en agissant sous nos yeux, par-delà les jeux mondains qui, dans l’Occident contemporain, en ont perverti la pratique.
Cassandre : Un certain nombre d’acteurs importants à différents niveaux du paysage culturel, notamment dans le théâtre, sont passés, pour des périodes plus ou moins longues, par ce qu’on a appelé l’Éducation populaire. Pour vous, est-ce que ça a encore une signification ?
Christiane Véricel : Ça m’a confirmée dans mon goût pour le théâtre : être confrontée à un public, peu importe dans quel rôle. J’ai connu ça très jeune. Dans les stages Jeunesse et Sports, on croisait Jean Dasté, Georges Moustaki, des artistes qui venaient passer un moment de formation avec des « débutants débutants » qui ne connaissaient pas grand- chose, mais qui avaient un tel désir de théâtre qu’on travaillait douze à treize heures par jour et à tous les postes, ce qui est très formateur. Après, on peut cerner ce qu’on veut faire. Ça m’a servi de point d’appui pour m’en détacher, j’ai voulu faire de mon théâtre quelque chose de particulier, étant intéressée par le mélange, les langues étrangères, la présence d’acteurs de différentes cultures comme j’ai pu le voir par exemple chez Peter Brook, ou d’autres, comme Josette Baïz (1) qui a commencé à peu près en même temps que moi, ou chez les musiciens qui sont métissés depuis longtemps. C’est cela qui m’intéressait.
Quelle relation faites-vous entre ce désir de métissage et la formation…
Je n’ai pas vraiment eu de formation, mais le fait de passer par des stages avec une expérience théâtrale m’a permis de décider de faire différemment, je me suis appuyée là-dessus pour voir ce que je voulais faire. Le théâtre traditionnel ne correspondait pas à mes désirs.
Donc, sur la base de ce « refus », vous avez aiguisé votre propre outil.
(Elle rit.) Oui, je trouvais le théâtre « pur », de texte, intéressant, mais l’image, le son, la peinture, etc., ce qui était autour, m’intéressait aussi beaucoup.
C’est ce qui se pratiquait dans les stages de réalisation.
Oui, on savait faire de la couture, on apprenait la menuiserie, à repeindre… L’alliance de l’image et du son vient de là et de ma sensibilité à la peinture, à la photographie et à la musique. Je ne voulais pas m’enfermer dans quelque chose qui m’aurait été « dicté » par un texte venu de l’extérieur.
Propos recueillis par N. R.
1. Le travail de Josette Baïz dans les quartiers d’Aix et de Marseille s’est concrétisé par la création du Groupe Grenade, constitué de jeunes danseurs issus de ces quartiers. Elle est par ailleurs directrice artistique et chorégraphe de la compagnie Grenade.