Archives de catégorie : extrait 61

Peuple d’artistes

Printemps 2005

PAROLES CROISÉES

4. Le « Lehrstück », un outil du temps / entretien avec M. Taszman, É. Levron, M. Lacreuse

HORS CHAMP

10. Un rire salutaire / par Édith Lebettre

11. L’art qui « ne va pas de soi » / par V. de Saint-Do

LIBRES ÉCHANGES

12. Sur le ring de l’histoire / entretien avec Ariel Cypel

CHRONIQUE DU THÉÂTRE ORDINAIRE

14. par Bruno Boussagol

EFFRACTION

15. Portes de sortie / par Valérie de Saint-Do

Intra-muros mouvements / par Nicolas Roméas

SI LOIN SI PROCHE

16.Entre marché culturel et militantisme – Théâtre au Liban / par Irène Sadowska-Guillon

19. Les chemins ardus d’une renaissance – Théâtre en Syrie

21. Dialogue versus vengeance / par Valérie de Saint-Do

22.« Kutiya… quoi ? » Kutiyattam / par Virginie Johan

FIL D’ARIANE

24. De solides assises ? / entretien avec Francis Parny

AGORA

26. Wallonie-Bruxelles, laboratoire de la culture de demain ? / par Paul Biot


HORSCHAMP : Nos vies dans l’art / par Valérie de Saint-Do

Une utopie toujours recommencée, à recommencer. Dans et hors l’institution, metteurs en scènes, chorégraphes plasticiens, musiciens, incitent et invitent ceux que l’on n’appelle plus « public » à monter sur scène, ou à être partie prenante de la création. Est-ce dû à un besoin de ressourcement de formes qui s’étiolent ? À une nécessité profonde de relier l’art à la communauté ? On navigue, bien sûr, entre les écueils de l’instrumentalisation, de la confusion, voire de la démagogie.
Mais, au-delà de la superficialité de certaines expériences et des ratages, ouvrir le plateau ou l’atelier aux « gens », c’est non seulement réinsuffler de l’art dans leurs vies, mais de la vie dans l’art.

28. Chœurs citoyens / par Virginie Johan

29. L’amateur mal-aimé / par Thomas Hahn

30. Joyeux massacres à Gennevilliers / par Valérie de Saint-Do

31. « Je vous le promets, Monseigneur » / par Alexandre Wong

32. Quand le rêve d’un seul devient celui de tous / entretien avec Christian Mazzuchini

34. Carcara et les habitants / par Christophe Adriani

36. Le pas de la troupe / entretien avec Jean-Louis Hourdin

38. Une ville, un théâtre et le monde / entretien avec Didier Mouturat

40. Éveil d’une parole – Compagnie NAJE / par Céline Delavaux

41. « Mademoiselle ! » / par Virginie Johan

42. Etre-là – Ecobox / par Samuel Wahl

44. Artistik Karnaval / entretien avec G.Darmet, S.Claudin, M.Saint-Cyr, X.Phélut

46. Brèves histoires d’habitants



AGORA

47. Anticonstitutionnellement / par le groupe RÉFLEX(E)


LIBRES ÉCHANGES

48. Faire du théâtre après Auschwitz ? / entretien avec Bernard Bloch

VILLES ET FESTIVALS

52. Old school la revanche / par T.Hahn

54. Éclectiques morceaux choisis / par M.Blœdé

PAS DE CÔTÉ

57. « Petites théories » de Sidi Larbi Cherkaoui / par Myriam Blœdé


VILLES ET THÉÂTRES

58. Une décentralisation discrète / entretien avec Isabelle Mounier


PARTI PRIS

60. Le salon de Mladen Materic / par Alexandre Wong

DVD PAR C.D.

62. Le cas italien / par Christophe Deshoulières

64. HORS-SUJET

65. CD PAR RIPOCHE

ÉCRIT

66. De Godot à Zucco / par I. Sadowska-Guillon

PETITES THÉORIES JETABLES

67. / par Jacques Livchine

Une décentralisation discrète : Entretien avec Isabelle Mounier

Propos recueillis par Nicolas Roméas


Cassandre/Horschamp fouine et creuse encore et toujours, pour découvrir et faire connaître quelques-uns de ces lieux-carrefours éloignés des sunlights et des modes où l’art veut être utile à la vie des Hommes. C’est le cas de l’Imprimerie, à Rive-de-Gier, guidé par le pas sincère et courageux d’Isabelle Mounier, à contre-courant de l’esprit cynique du temps, portée par la figure de Jean Dasté, essentielle pour l’histoire culturelle de la région
stéphanoise. Je l’ai rencontrée à l’occasion de Marche à l’étoile, lecture sobre et sensible de textes d’Alexandra David-Neel.

En dehors de la saturation des grandes villes, qu’est-ce qui a fait que la Parisienne que vous étiez, a abouti dans cette petite ville ?

Isabelle Mounier :J’aime la difficulté. C’est une ville qui souffre de reconversion économique. Mais, justement, c’est une ville où il y a quelque chose à faire.

Vous êtes des missionnaires ?

Isabelle Mounier : Disons que j’ai peut-être voulu jouer un peu à Dasté. (Rires.) Je suis partie vers la Loire…

Jean Dasté est une figure importante ?

Isabelle Mounier :Ah oui, Dasté, Vilar, Copeau, grandes références ! Dans les années quatre-vingt-dix, il n’y avait plus la moindre avant-garde, il y avait toutes ces scènes nationales qui développaient du réseau entre elles… Je m’ennuyais ! On s’ennuyait tous ! Et puis il y avait le passé… Ce n’était pas un endroit vierge puisqu’il y avait eu Dasté. Il y avait une attente de théâtre. Daniel Benoin dirigeait la Comédie de Saint-Étienne, à l’époque, et il n’était pas du tout dans l’état d’esprit d’un Dasté. Il a laissé des espaces vides énormes, dans la Loire. Je suis allée dans cette petite ville parce que j’y avais des amis, parmi lesquels Viviane Vendroux, qui travaille encore avec moi. Ils m’ont dit : « Viens, ici il y a eu du théâtre ». Viviane se souvenait de Jean Dasté, de ces grands moments qui ont changé sa vie… Moi je n’ai pas la prétention de tout bouleverser, mais j’ai eu le désir de me frotter aux autres, de mettre en œuvre les questions que je me posais sur l’art
dans un endroit où justement on ne m’attendait pas !

Personne ne vous attendait ?

Isabelle Mounier :Ils n’attendaient pas ça, ils attendaient ce qu’ils appellent le théâtre « populaire », qui en fait est le théâtre populiste, du divertissement,
des choses consensuelles… Du pain et des jeux, quoi !

Comment caractériser la démarche de Défriche Compagnie ?

Isabelle Mounier :Il y a une association qui fait d’autres choses que du spectacle, des ateliers, des lectures, des expositions… On rencontre les gens, ils viennent à l’issue du spectacle, il y a des discussions, on fait à manger… Au départ, nous sommes venus avec un spectacle d’avant-garde historique, un spectacle de music-hall, assez enlevé, assez provoquant pour 1993. On a commencé comme ça.

L’idée était de « piéger » le public par quelque chose qu’il connaissait afin de le mener à autre chose ?

Oui, pas forcément dans un projet à long terme, mais nous avions la possibilité de travailler
sur le temps, d’ouvrir des répétitions, de faire des confrontations dans la rue…

Et ça donnait quoi ?

Isabelle Mounier :Des prises de parole de la part des gens qui passaient… Le premier spectacle en 1993, Cocktail
900
, c’était sur un texte de Marinetti, le futuriste
italien… Il y avait un masque à gaz… Se promener dans la rue avec un masque à gaz et prendre la parole… La proposition du metteur en scène avec qui je travaillais, qui est italien, c’était du cabaret italien futuriste, et il voulait travailler ça avec des femmes. On était trois femmes sur scène.

Vous pouvez me parler de la population de Rive-de-Gier ?

Isabelle Mounier :C’est une ville où il y a des usines métallurgiques, des verreries maintenant surtout. Une ville où il y a beaucoup d’ouvriers, des quartiers ouvriers. Et, comme dans toutes les villes en France aujourd’hui, dès qu’on a un peu d’argent, on va habiter aux alentours. Dans la ville, on se retrouve avec une population assez métissée de Maghrébins, avec maintenant aussi pas mal de Turcs, qui sont venus depuis environ trois ans, et il reste quelques « vieux de la vieille », des vrais Ripagériens qui ne veulent pas bouger de là. Alors voilà, j’ai décidé de poursuivre ce pari à ma façon, en faisant un peu mon Gatti, cette fois (rire). Je menais des ateliers ouverts à tous, en ouvrant à des gens rencontrés dans des centres sociaux. Progressivement, j’ai été acceptée, on disait que mon travail théâtral était un peu compliqué, mais « elle est exigeante et puis elle en veut ». Donc elle est respectable, mais on l’attend toujours un peu au tournant…

Faire du théâtre après Auschwitz ? Entretien avec Bernard Bloch

Propos recueillis par Nicolas Roméas

Cela fait très longtemps que Bernard Bloch creuse le sillon droit et profond d’un théâtre en prise avec la réalité contemporaine. Il le fait hors de toute démarche de carrière, sans chercher à éviter les risques (souvenons-nous de Moi, quelqu’un, au moment de « l’affaire Kelkal ») en s’efforçant
de relier ses interrogations d’homme à son métier de metteur en scène-comédien. Lehaïm, à la vie est un nouvel exemple d’un travail âpre et sans concession mené, avec Martine Colcomb, sur un thème ô combien périlleux : les raisons et les conséquences de l’extermination des Juifs dans l’Allemagne nazie, à partir du travail étonnant d’images et de témoignages réalisé par Herlinde Koelbl.

À quel moment de votre parcours le projet Lehaïm advient-il ? Dans quelle mesure fait-il la jonction entre
votre goût du théâtre et vos préoccupations personnelles, historiques, politiques ? Et comment les deux se rejoignent-ils ?

Bernard Bloch : Il faut remonter très loin, il y a plus de vingt ans… aux textes que nous avons écrits et montés avec Jean-Paul Wenzel, en 1982-1983. Le titre, c’était Vaterland, le pays de nos pères. Vaterland signifie patrie en allemand, et, littéralement, c’est « le pays
du père ». En français, on dit « la mère patrie », et dans patrie, il y a père. Ce spectacle était fondé sur une double idée : le père de Jean-Paul était un soldat allemand, fait prisonnier à la fin de la guerre et resté en France. Il a ensuite épousé une Française, dont il a eu deux enfants,
Jean-Paul et son frère. Il a quitté du jour au lendemain sa famille au début des années cinquante, et il a disparu de la circulation. Mon père à moi est un juif allemand, né en
1911, près du lac de Constance, qui a quitté l’Allemagne en trente-quatre, à la prise de pouvoir par Hitler. Il est parti en Suisse, il est devenu travailleur clandestin et s’est fait mettre en taule parce qu’il travaillait sans papiers. Et puis il est passé en France en trente-cinq. C’est là qu’il a
rencontré ma mère, juive aussi, mais alsacienne donc française, qu’il a épousée en trente-sept. Il s’est engagé dans la Légion étrangère pour se battre contre les Allemands, et à cinq reprises, ils ont échappé à la déportation. Et je suis né en 1949, quatre ans après la guerre. Mes parents
parlaient allemand/alsacien ensemble, ma mère allemand/alsacien, mais français avec moi. Il était
hors de question de m’apprendre l’allemand. Il y a eu un moment très curieux où ils ne savaient pas que je comprenais ce qu’ils disaient. Donc l’allemand n’est pas ma langue maternelle, c’est ma langue paternelle. Je l’ai appris à la maison. Ensuite, j’ai fait de l’allemand à l’école et, vers
30 ans, j’ai mesuré à quel point j’étais travaillé par cette culture. J’avais un désir d’Allemagne. C’est le moment où on a fait Vaterland. Je me suis retrouvé par transfert, par héritage, dans la même situation que tous ces juifs allemands et autrichiens qui, malgré ce que les Allemands leur ont fait, ont gardé une passion pour cette langue et cette culture. Le seul autre exemple de cette symbiose, ce sont les
juifs espagnols, avant Isabelle la Catholique. C’est le seul
autre endroit où il y a eu une telle embrassade, une telle
fusion entre la culture juive et la culture locale. Comme
par hasard, ce sont les deux endroits où la persécution est
allée le plus loin. Mais aux temps d’Isabelle la Catholique,
ce qu’on demandait aux juifs, c’était de renoncer à leur
judeïté. Pour Hitler, ce n’était pas une question religieuse, de se convertir, ni d’être converti depuis trois ou quatre générations. On exterminait pour des questions raciales.
Mon père a très mal vécu que je rende publique, en 1983, son origine allemande. Pour lui, alors qu’il avait fui le nazisme en 1934, son origine allemande était une faute, il en avait
honte. C’est allé très loin. Dans la brochure du spectacle, nous disions que mon père était un juif né en Allemagne. Il l’a vécu comme une trahison, il ne m’a pas adressé la parole pendant six mois. On s’est réconciliés quand j’ai eu
mon premier enfant. Wenzel et moi avons eu notre premier enfant juste après Vaterland, le pays du père. (Rires.)

De quatre-vingt-trois jusqu’aux années 2000, j’ai mis ces questions sous le boisseau. Je n’ai jamais voulu aborder celle de ma judéité au théâtre. Je montais des textes irlandais, des textes allemands de Fassbinder. J’ai monté
Les Paravents, peut-être, d’ailleurs cette expérience
m’a-t-elle permis, par contraste, de prendre cette question à bras-le-corps. Genet était amoureux des opprimés. En disant
clairement qu’une fois qu’ils ne le seraient plus, ils l’intéresseraient beaucoup moins. J’ai eu la chance d’en parler avec Derrida, qui connaissait bien Genet et m’a beaucoup éclairé là-dessus. Ce qui m’a bouleversé, dans Les Paravents, c’est cette fascination pour le désert, pour
le rien, poussée à l’extrême. Ce désir terrible auquel je me suis coltiné, douloureusement, violemment…
C’est cette confrontation avec le vide, la traversée de ce désert qui a créé la page blanche et m’a permis de faire face
à une part de ce que je suis. Mon père est mort fin 1996 et, sans doute, avant sa mort, ne me serais-je jamais autorisé à regarder de plus près d’où il venait. Et ma mère est morte il y a un an et demi. Lehaïm a été créé après sa mort, après
leur mort à tous deux. Et il s’est passé autre chose. Il y a quelques années, juste après Les Paravents, j’avais vu
Les Spectres de Marx de Jean-Pierre Vincent et Bernard Chartreux, inspiré du texte de Derrida sur Marx. J’avais été enthousiasmé par ce spectacle. Et j’ai proposé à Chartreux de
travailler avec moi sur la question juive.
Mon idée, c’était de partir de trois livres : Réflexion sur la question juive de Sartre, La Question juive de Marx, et Moïse et le Monothéisme de Freud. Nous avons commencé
à y réfléchir. Et puis le projet s’est enfoncé dans les sables, on avait l’un et l’autre d’autres choses à faire. Trois ou quatre ans plus tard, en 2003… Chartreux m’a appelé et m’a dit : « Écoute, ma femme a acheté un livre en Allemagne, c’est un catalogue d’exposition de photos qui s’appelle Judische portraits, portraits juifs, faits par cette photographe allemande, Herlinde Koelbl, il y a
quinze ans. Elle a consacré à ses frais quatre ans de sa vie à rencontrer des personnalités du monde intellectuel, philosophique, scientifique, artistique, dans le monde entier, tous d’origine allemande ou autrichienne. Elle a pris ces gens en photo, elle a fait une expo et elle a réalisé
avec eux des entretiens, il y en a quatre-vingt. Et j’ai commencé à déchiffrer les entretiens, c’est passionnant. Je l’ai proposé à Rudolf Rach, aux éditions de l’Arche, ça l’intéresse beaucoup d’en faire une édition en français, mais je ne me sens pas de faire ce travail tout seul, est-ce que
tu serais d’accord de faire ça avec moi ? ». J’ai cherché le livre, j’ai lu trois interviews et j’ai été tout de suite d’accord. J’ai eu l’impression d’entendre enfin ce que je n’ai jamais entendu de mon père. Mon père, qui a arrêté
ses études à 16 ans, me récitait des pages entières de Schiller, de Goethe, il était fait de cette culture. Et, enfin, j’avais l’impression de comprendre des choses que je n’avais jamais entendues. Mon travail, avec Bernard Chartreux, était de retrouver quelque chose de l’oralité
de départ. De revenir à ce qui existait avant que ce soit imprimé, pour en faire du théâtre.

Théâtre en Syrie : Les chemins ardus d’une renaissance

Par Valérie de Saint-Do

Si la Syrie fait la une de l’actualité, ce n’est certainement pas pour son paysage artistique et culturel, fortement méconnu. Le Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine, coproducteur du spectacle, invitait à découvrir Al Zir Salem et le Prince Hamlet, mis en scène par le metteur en scène syrien Ramzi Choukair et proposé en versions arabe et française, dans le récent et somptueux Opéra de Damas.
L’occasion d’un tour d’horizon (trop) rapide sur un pays en quête de politique.

Disons-le d’emblée : se pencher sur l’état du théâtre en Syrie, en février 2005, semblait futile voire dangereux à certains, en pleine période de bruits de bottes et de tension internationale. Ramzi Chouckair avait beau jeu d’ironiser : « Il paraît que nous sommes isolés sur la scène internationale. En tout cas, c’est ce que vous lisez dans
les journaux qui vous sont distribués dans l’avion, au moment même où vous êtes en partance pour voir une coproduction syro-française à l’Opéra de Damas et rencontrer des jeunes Damascènes qui ont travaillé sur ce projet ! »
De fait, au cours d’un voyage certes trop rapide pour une analyse fouillée, aucune tension, aucune hostilité anti-occidentale n’étaient perceptibles dans la métropole damascène, au contraire animée au cours de nos rencontres par une vraie chaleur et curiosité. Ne sombrons pas dans
une naïveté excessive : les commerçants du souk de Damas, merveille foisonnante, ont tout intérêt à choyer le touriste ; l’Opéra de Damas se veut aussi un outil de restauration de l’image de la Syrie. Mais l’intérêt que nous ont témoigné les jeunes Damascènes, la chaleur de l’accueil, ne semblent pas dictés par de seuls intérêts mercantiles ou diplomatiques.

En fait, on prend conscience, en débarquant dans cette métropole bruyante, marquée par la splendeur d’un patrimoine qui contraste avec l’anarchie des constructions des années cinquante et soixante souvent délabrées, du fait que la Syrie est quasi absente de nos représentations, en dehors de son rôle stratégique sur la scène internationale. Pas de production cinématographique rayonnant hors des frontières, comme en Iran ; pas de présence du théâtre syrien sur les scènes internationales, même si c’est un metteur en scène syrien, Chérif Khaznadar, qui dirige à Paris la Maison des cultures du monde ; pas non plus de curiosité de la part de médias allant explorer l’état de la pensée et de la création
contemporaine, ou même tout simplement la vie au quotidien dans un pays dont même la richesse patrimoniale est occultée par l’actualité.

La fin d’une époque

En 1998, dans le hors-série de Cassandre consacré au théâtre
des mondes arabes, Hanan Kassab Hassan, enseignante à l’Institut supérieur des arts dramatiques de Damas (ISAD), dressait le constat d’un certain désenchantement dans le paysage théâtral. Introduites en Syrie à la fin du XIXe siècle par Qabbani 1, un commerçant damascène féru de
formes traditionnelles, notamment la musique, et soucieux d’une renaissance culturelle intégrant l’influence de l’Occident, les formes occidentales du théâtre se sont développées au cours du XXe siècle – non sans quelques démêlés avec la censure, et au détriment des formes traditionnelles du conte et du Karagueuz (théâtre d’ombres).
Le seul vestige de cette tradition reste un café folklorique : à l’opposé d’autres métropoles arabes, Damas est curieusement vide de cafés et d’espaces de socialisation. C’est à la mosquée ommeyade que jeunes et moins jeunes se donnent rendez-vous…
Les spécialistes du théâtre syrien s’accordent à parler d’un âge d’or des années soixante, marqué par l’influence brechtienne et le soutien du régime socialiste à une politique culturelle volontariste, et qui a vu l’éclosion d’auteurs comme Saadallah Wannous et de metteurs en scène
tels que Hani Snobar, Cherif Khaznadar. Après la tentative, dans les années soixante-dix, de forger un théâtre qui puise son contenu et sa forme dans le patrimoine local, les années quatre-vingt voyaient un essoufflement ; épuisement de l’écriture, fuite des comédiens vers le mirage télévisuel (la télévision syrienne a développé une production conséquente de fiction, considérée comme l’une des meilleures du monde arabe, et qui devient le débouché naturel des jeunes sortis de l’ISAD.)

Marie Elias, enseignante à l’ISAD, fait le constat de la fin d’une époque : celle des écrivains de théâtre et des projets ambitieux. Le théâtre syrien vit l’épuisement d’un système de contrôle intégral par l’État. Les équipements ne manquent pas : Damas abrite de nombreux théâtres, dont le Théâtre
Qabbani, siège du Théâtre national, mais l’inauguration de l’Opéra de Damas les a pratiquement asphyxiés. Par ailleurs, dit-elle, des compagnies apparaissent et disparaissent comme des champignons. Les énergies restent vivaces, les équipements nombreux, mais toute articulation semble bloquée entre les deux. Du volontarisme culturel de l’héritage, ne subsistent que les défiances vis-à-vis de toute initiative privée ou associative. Elle-même a choisi de prendre la route pour monter du théâtre d’intervention dans les villages, en s’inspirant des récits provenant de la tradition orale, dans le cadre d’un programme soutenu par l’Unesco. L’objet est de provoquer la parole souvent occultée, inaudible des populations, en revenant à la tradition du récit, dans des campagnes où les traditions
des cérémonies traditionnelles tendent à disparaître.

Des investissements pour quelle politique ?

L’Opéra de Damas, récemment inauguré, marque-t-il un renouveau, ou est-il le baobab masquant un désert ?
Le lieu est pharaonique. Construction et mobilier somptueux, trois salles de 1 500 places, 700 et 300 places respectivement, installation technique ultramoderne, équipement musical que plusieurs opéras occidentaux envieraient (pas moins de huit Steinway et un orgue !),
murs ornés de tableaux qui semblent indiquer une certaine vivacité de la création picturale syrienne. Pour quelle programmation, quel public ?
L’inauguration, étalée sur sept semaines, a attiré une foule de spectateurs, ce qui semble indiquer une véritable soif de la population. Mais le directeur de l’équipement ne cache pas que la lourdeur budgétaire structurelle d’un tel vaisseau le prive de toute marge de manœuvre artistique.
L’édifice apparaît comme un splendide paquebot vide, en l’absence de moyens et de politique artistique, réduit pour le moment à accueillir des coproductions étrangères. Les spectacles y sont gratuits – ce que le directeur déplore -, mais sur invitation. Comment l’information est-elle diffusée ? Comment les Damascènes s’approprieront-ils cet outil somptueux ?

Actualité du Lehrstück

Entretien avec Maurice Taszman et Elise Levron

Propos recueillis par Nicolas Roméas

Maurice Taszman, dramaturge auteur est né à Bruxelles en 1934. Il vit et travaille entre Bruxelles, Berlin, Vienne et Paris. On lui doit notamment des traductions des œuvres de Manfred Karge (La Conquête du pôle Sud, Faust 1911), George Tabori (Weisman et Copperface, Le Courage de ma mère, jubilé), Heinz R. Unger (L’Ange maudit), Lothar Trolle (Hermès dans la ville,Papa-Mama, Elles, à trois sous un pommier) Heiner Müller (L’Opéra du dragon, L’Émigrante ou la Vie à la campagne, Le Bloc Mommsen et autres poèmes). Également enseignant de théâtre, il anime plusieurs ateliers sur Heiner Müller, Michel Vinaver et Lothar Trolle. Sa grande préoccupation est de faire comprendre l’utilité, y compris contemporaine, de ce que Brecht a intitulé le Lehrstück.

Propose recueilis par Nicolas Roméas et Marc Lacreuse – EXTRAIT – Lire l’intégralité dans la revue Cassandre.

Cassandre : Aujourd’hui, à une époque où la question de la forme théâtrale se pose avec une grande acuité, il est intéressant d’essayer de comprendre, comment, par le passé, le théâtre a tenté de se rapprocher des questions posées par la société.

Maurice Taszman : Oui, il me paraît important de retrouver les avancées dans ce domaine qu’avait faites Brecht en son temps, en particulier avec le « Lehrstück ». Traduire par « pièce didactique »… a mené à beaucoup de fausses pistes. Moi j’appelle ça des « pièces d’apprentissage ». C’est autre chose…

Élise Levron :C’est d’ailleurs la traduction littérale que faisait Brecht de l’allemand vers l’anglais. Il les appelait les learning plays.

Cassandre : Et non teaching plays…

E.L. : Voilà, exactement.

M.T. : Le fait que ça se soit imposé en France sous ce titre a eu des conséquences sur les pièces elles-mêmes et sur toute une approche de Brecht, qui a fini par être classé dans le didactisme. On a passé sous silence une grande partie de ce qu’il peut y avoir de sensuel, de sensualiste chez lui, que quelqu’un comme Roland Barthes avait repéré. C’est devenu une sorte d’instituteur… Avec toute une série de moines qui donnent la bonne parole et qui avec des têtes comme ça, te disent (grosse voix) « et ne l’oublions pas, le théâtre… c’est le plaisir »…(Rires.)

Déchirures (extraits)

Par Thomas Hahn

Infatigable voyageuse, Maya ramasse des boîtes écrasées ou des tampons traditionnels pour en composer les multiples strates d’œuvres qui tiennent du collage, de la peinture, de l’imprimerie et des arts plastiques.

Elle sillonne le monde et range ses tableaux, par centaines, dans les placards de son atelier. Impossible d’exposer toute cette production prolifique, malgré deux expos par an, en moyenne. Combien d’œuvres aussi abouties sont condamnées à rester confidentielles ? Il lui arrive de subir des retours qui la surprennent et lui révèlent la profondeur de son engagement politique, de la chape de plomb qui règne. Elle eut le malheur – ça tombait mal – d’exposer en octobre 2001 des tableaux créés des années auparavant, laissant deviner un hypothétique effondrement de certains symboles du capitalisme comme des notations de valeurs boursières, ironiquement intitulés Beau fixe sur New York et Effritement. Elle adore travailler en séries. Mais il y a eu pire en créations piégées par l’horreur de l’attentat. En arts, en blagues, et surtout dans la pub. « On m’a presque traitée comme si j’étais le terroriste qui avait fait exploser les tours jumelles. » Loin d’être une activiste politique, Maya est une artiste humaniste, amoureuse des cultures anciennes. Naïve ? Il lui manque un côté plus militant pour se faire connaître à travers les circuits des arts politiquement identifiables. Mais puisqu’elle préfère la liberté et la recherche personnelle, cette autodidacte (« tant que c’est possible, avec tout ce qu’on ramasse par la vie ») expose soit en Provence, soit à Marrakech. Le Parisien (pas le journal, l’habitant) a la surprise de trouver (aussi improbable que ce soit), dans une maison avignonnaise, entre quelques guitares et un potager, une œuvre qui traverse magistralement les styles, les techniques, les cultures. Au fil des décennies, Maya a traversé des périodes contradictoires, jusqu’à l’abstraction absolue. Mais jamais elle n’a lâché un mode d’expression pour un autre sans avoir poussé la recherche à un point où tout était dit, la messe incluse. L’occasion de travailler in situ ne se pose pas souvent. Mais elle a monté des stèles de cartons, ramassés dans la rue, dans les carrières des Baux (« un lieu chargé, où Cocteau a tourné Le Testament d’Orphée »), et accroché des tableaux géants créés pour le lieu à la chapelle des Célestins d’Avignon.
Recyclage et compostage transitent entre le jardinage domestique et des œuvres à vocation d’une world music picturale. Maya recycle les résidus de la société de consommation et d’information. Quand elle fabrique ses papiers « rugueux, frustes », dans lesquels on retrouve ensuite des résidus lisibles en sanskrit, hébreu ou arabe, elle broie le matériau de départ avec son mixer de cuisine. Au toucher, on peut prendre ses papiers pour des tissus ou des peaux. Elle rapporte aussi des papiers de ses voyages en Inde, en Birmanie ou ailleurs. Elle ne refuse pas une note spirituelle ou mystique. Elle se dit « occidentale par accident », ce qui veut dire aussi consommatrice honteuse. Artiste, elle a le bonheur de sublimer sa culpabilité par l’emploi d’objets « ramassés par terre, rejetés, malmenés, écrasés par les voitures et le temps. J’essaie de leur rendre vie d’une autre façon, en travaillant sur la mémoire, sur la trace. L’œuvre est déjà là ». C’est donc social. Elle utilise des tampons qui servent à imprimer des tissus traditionnels, « des tampons qui ont vécu, qui ont servi, qui sont le reflet d’une vie qui disparaît ».
Ses tableaux les plus figuratifs sont des séries sur les femmes voilées, sous-tendues par des reflets de journaux hébreux, et exposées jusqu’ici au Maroc. De culture juive, elle aime à explorer les parallèles entre les mondes hébreu et arabe avouant le peu d’attrait qu’exerce sur elle l’État d’Israël, « beaucoup trop américanisé ». Le rapport à la burka aussi est complexe. Les images esthétiques de femmes dans leurs « tentes » sont aussi porteuses de « la force du sacré dans ce qu’on ne peut museler ».
Il fut un temps où elle était danseuse. Mais aussi étudiante aux beaux-arts d’Avignon. Cela dura deux ans pour les beaux-arts, mais elle pouvait se défouler dans l’atelier de l’un de ses profs. « C’était le capharnaüm total. Tout était permis. On nous laissait faire, sans nous juger. » On verra une (minime) partie des résultats d’un parcours de vie d’artiste agitée à la galerie Peinture Fraîche (juste en face de cet endroit précieux et étonnant qu’est le Club des poètes).

Wallonie-Bruxelles, laboratoire de la culture de demain ?

Wallonie-Bruxelles, laboratoire de la culture de demain ?

Par Paul Biot*

Il se passe quelque chose en Belgique. Quelque chose d’assez prometteur.
Dans cette partie francophone qui s’appelle la communauté française Wallonie-Bruxelles, du nom des deux régions qui la composent.

Les régions ont des assises territoriales. La communauté fait dans l’immatériel : la santé, l’enseignement, la culture. Elle a son ministre, une femme, issue de cette immigration marocaine qui, après l’italienne, a irrigué ce peuple ouvrier et secoué ses notables.

Les États généraux de la Culture ! C’est tout frais. Dans un bel élan collectif, les partis démocratiques, invités au débat par les milieux professionnels et associatifs quelques semaines avant les élections de juin 2004, les avaient tous promis au peuple francophone.
Un peu dubitatif, le peuple. Car avant les élections c’est avant, après c’est après. Mais attentif et optimiste quand même : on est en Belgique où tout est toujours possible. Un trimestre ne s’était pas passé que les voilà annoncés, six mois et ils sont en route. Ils dureront un semestre pour écouter tout le monde, et d’abord ceux qui n’ont pas l’habitude ni le goût de s’organiser.
Une vingtaine de rencontres sont prévues, avec autant de thématiques : la danse, le théâtre, l’audiovisuel, les métiers de la culture, arts et éducation, la place de la jeunesse, l’éducation permanente, les institutions phares, les festivals… Un site est ouvert pour recevoir opinions, critiques et propositions de tous.
La ministre met en place une cellule spéciale, prévoit des synthèses, des réunions « transversales » avec d’autres secteurs, d’autres cabinets : elle ne fait pas mystère de l’enjeu budgétaire, elle annonce des combats.
On y croit sans trop y croire.
Les artistes, les fédérations et les solitaires, les bénéficiaires et les laissés-pour-compte, les institutionnels, les membres des commissions d’avis,
les insatisfaits, les rageurs, les chaleureux, se mobilisent peu à peu.
Les médias culturels se mettent à faire leur métier : on critique, on relève les failles, on prévoit des désillusions. On se fait Cassandre, mais on informe.
Car les enjeux sont de taille.

Dans une communauté culturelle étranglée au plan budgétaire par l’interdiction constitutionnelle de recourir à l’impôt, donc totalement dépendante financièrement des autres niveaux de pouvoirs et de structures – en Belgique, on atteint des sommets en la matière -, chaque écu s’arrache. Les ministres libéraux qui ont occupé le siège des Arts de la scène ont joué jusqu’à la corde au jeu de la main froide et chaude : à toi je donne, à toi je prends, tout dépend des alliances.
Fadila Laanan est socialiste, elle sait qu’il y a urgence. Les urgences, elle les égrène dans un document qui, dès l’ouverture des États généraux, pose enjeux et objectifs.
Il y a ce qui apparaît dans tout exercice de ce genre : éclairer le politique, améliorer l’administration, sortir des incertitudes antérieures – un petit coup dans les gencives des précédents, c’est toujours agréable et en plus c’est juste, alors…
Signe des temps, même si l’enjeu n’est pas neuf : préserver la diversité culturelle, assurer la transversalité, garantir l’accessibilité socio-économique et territoriale – mais avec une octave de plus : elle doit aussi s’appuyer sur une approche socioculturelle.
On ose des engagements plus risqués. Assurer la transparence absolue sur l’attribution des deniers publics : deux mois plus tard – surprise ! -, la chose est faite, faisant apparaître d’étonnants privilèges. S’attaquer aux tensions entre secteurs, entre domaines artistiques, et particulièrement entre des dimensions de la culture le plus souvent perçues comme antinomiques : création artistique et démocratie culturelle, entre culture (lire « tradition ») et pluriculture (lire « émergences »).
La ministre parie sur la dynamique du conflit, affirme que le multiple constitue l’unité, et projette une action de refondation de la culture, à qui il faudra rendre sa fonction de service public. Et, pour faire bonne mesure, souhaite à chacun et chacune d’être l’artiste de sa vie.
Certains ironisent. D’autres se prennent à rêver.
Mais le char avance. Les rencontres se succèdent depuis trois mois et personne ne les boude. La presse s’étonne du sérieux des contributions – attention, l’essentiel doit être dit en dix minutes, il faut laisser parler tout le monde -, ça prend des allures de consultation populaire, avec ses moments de tension, de rire, de grâce et aussi de hargne, on ne se refait pas, et il y a si longtemps qu’on attend.
Ce n’est pas encore le lieu du débat, c’est une consultation sans œillères, mais on perçoit des signes de quelque chose en train de se construire.

Edito par Nicolas Roméas

Par Nicolas Roméas

Ce désir de rapprocher les pratiques de l’art du mouvement de notre vie en société, nous l’entendons depuis longtemps, sourd, murmurant, éclatant parfois, plus ou moins bien perçu, plus ou moins assumé au fil du temps.

Jean Dasté et ses comparses voulaient-ils autre chose dans les années cinquante, lorsqu’ils portaient les grands textes de théâtre dans les villages aux alentours de Saint-Étienne ? Ils en laissèrent pour souvenir de magnifiques albums de photographies où figuraient les visages, les regards des gens du public, seule chose vraiment importante aux yeux de notre fougueux pionnier.

Ceux qui prirent en charge ce désir dans l’immédiat après-guerre étaient pour la plupart ce qu’on appellerait aujourd’hui des « amateurs », poussés par une foi militante qui avait moins à voir avec une « profession » qu’avec un profond désir de changer la vie en faisant circuler la force des mots, des idées, des attitudes humaines.

Le choc de l’Histoire ramenait à notre mémoire quelques vérités essentielles. Dans ces temps d’urgence, il arrive que le monde politique trouve la « culture » utile. Notamment pour reconstruire l’identité d’une nation. Avons-nous besoin de ressentir une telle urgence, pour nous y mettre ? Eh bien, ressentons-la : elle est là. Moins visible qu’une guerre, mais aussi terrifiante pour l’avenir. Le délitement programmé de ce qu’on nomme « culture », au profit d’un commerce sans âme.

Il faut donc s’y mettre.

Mais l’exercice est périlleux. Il y faut du talent. Dans cette navigation à vue vers l’horizon incertain d’un art « démocratique », il faut bien sûr tracer des frontières sûres face à la fausse et médiocre « interactivité » que véhicule une télévision qui a renoncé à toute ambition. Mais il est urgent, aussi, de se tenir à bonne distance des récifs d’un « populisme », d’une démagogie que les modes veulent imposer en lieu et place d’une vraie conscience politique. Il ne s’agit pas de bâcler.

Il ne s’agit pas de dévaloriser le geste artistique en affirmant que n’importe qui y a accès, n’importe comment. Il ne s’agit pas seulement non plus, comme on l’entend parfois, de « réappropriation ».

Se réapproprier une chose suppose qu’elle nous a déjà appartenu. Or, la réalité historique du développement des arts en Occident est beaucoup plus complexe. La plupart des formes d’art que nous connaissons aujourd’hui ont une très ancienne origine « populaire », elles ont jadis répondu à une nécessité collective, souvent liée à la religion. Et par un long et chaotique cheminement historique, nous sommes passés de pratiques largement partagées à leur appartenance à une élite. Il ne s’agit donc pas uniquement de reprendre possession de ces formes qui se sont transformées jusqu’à ne plus correspondre qu’au goût de certaines couches de la population. Il s’agit d’en inventer de nouvelles, sans en passer par cette confiscation. Sur quelle base ? Sur quel désir commun, quelle urgence, quelle nécessité ?

Celle de montrer à nouveau que l’art peut être une chose extraordinairement belle, simple et savante à la fois, construite avec la matière de nos vies, de notre Histoire et nos histoires. Qu’il s’agit d’un outil essentiel pour toute civilisation digne de ce nom, pour faire, ensemble, ce à quoi le vieux Socrate encourageait chacun : se connaître soi-même. Ce qui requiert un désir fort, un travail acharné et exclut toute facilité.

C’est ce qu’en leur temps s’efforcèrent de faire des gens comme Erwin Piscator ou Bertolt Brecht, comme avec le Lehrstück, qu’évoque ici Maurice Taszman, ou ce que tente aujourd’hui Bernard Bloch.