Un labo de culture et de vie. Entretien avec Hervé Breuil (Lavoir Moderne Parisien)

Un labo de culture et de vie

Entretien avec Hervé Breuil

Propos recueillis par Nicolas Roméas

Dans le biotope souvent superficiel et décevant des arts vivants en France, il reste quelques drôles d’animaux, dont Hervé Breuil fait partie, qui ne cherchent pas particulièrement la facilité ou le confort. Ces oiseaux rares choisissent délibérément les lieux en apparence les plus difficiles, où certains s’imaginent que la culture n’a pas sa place, alors que c’est précisément là qu’elle retrouve sa force en faisant clairement face à une nécessité. La Goutte d’or, par exemple, territoire marqué par les combats de la Commune et que certains voudraient voir comme une sorte de ghetto africain à Paris. Quel lieu pourrait être, dans la capitale de la France, plus emblématique du désarroi et des blessures morales et culturelles infligées aux ressortissants de nos anciennes colonies, dont la société contemporaine maltraite de plus belle les descendants ? C’est là qu’avec le Lavoir moderne parisien et l’Olympic Café, Breuil effectue depuis une vingtaine d’années un remarquable travail de fond quotidien qui tient à la fois de l’art, de la culture et de l’apprentissage du vivre-ensemble. Il le fait en ouvrant sa porte à de jeunes artistes, à des acteurs culturels œuvrant dans des univers difficiles, comme l’atelier du non-faire, et en organisant fêtes musicales et repas de rue ouverts à tout le quartier. Tous les moyens sont bons pour connaître et faire se rencontrer les cultures.

Cassandre : La Goutte d’or n’est pas un lieu anodin, c’est un quartier qui a longtemps été réputé aussi dangereux qu’une cité de banlieue – l’image était fabriquée dans ce sens -, dans lequel on dit que toutes sortes de trafics se produisent en permanence. Travailler ici, ce n’est pas diriger un théâtre municipal, c’est un investissement total, il y a un lien fort entre le territoire, la démarche, un certain rapport aux artistes et à cette population mélangée…

Hervé Breuil : La Goutte d’or est un territoire spécial, mais la manière de le voir dépend du point de vue, il y a l’image extérieure et l’image intérieure. On essaie de diaboliser un quartier d’immigration, d’étrangers, avec cent cinquante ans de passé gauchiste revendiqué, l’histoire de la Commune, des barricades, des luttes populaires, et effectivement, cette image est aujourd’hui largement manipulée politiquement.
Mais vu de l’intérieur, il se passe des choses totalement différentes. On parle de dangerosité : au contraire, c’est un quartier en autoprotection permanente, dans lequel on se sent bien, protégé. On s’y sent aussi dans un état d’ouverture aux autres et d’enrichissement mutuel. C’est un espace à part dans une société comme la nôtre, avec d’autres formes de références ouvertes sur le monde. C’est là que se situe notre démarche artistique.
J’ai ouvert ce lieu il y a vingt ans. C’étaient les années quatre-vingt, l’arrivée du socialisme, il y avait un mouvement européen pour ouvrir des lieux dans des friches industrielles, des lieux à part, une idée de renouvellement qui soit une alternative à la culture habituelle. C’était déjà un geste d’aller vers quelque chose d’autre, il y avait un besoin de pluridisciplinarité, de transversalité, de recherche formelle, d’espaces qui soient des non-lieux de spectacle. Toutes ces choses ont évolué et il y a eu un tournant dans les années quatre-vingt-dix…

Les héros se sont fatigués…

Nous sommes allés au bout de certaines expériences au niveau du théâtre, des arts plastiques, du multimédia, il y a eu une période extrêmement excitante, fondée sur la convivialité, avec un aspect festif.
Nous avons travaillé sur de nouveaux publics, et nous avons ouvert cette culture à des gens qui ne s’intéressaient qu’à la littérature, la visite des musées, les beaux-arts et le conservatoire. Mais la société évolue, nous sommes passés par 1989, la chute du Mur, une société qui a commencé à se fracturer dans tous les sens. Aujourd’hui, nous sommes dans autre chose : on ne peut pas faire d’art sans faire du social et du politique.

Lavoir moderne parisien

35, rue Léon 75018 Paris

www.rueleon.net