Un théâtre de proximité

Par Géraldine Valia

Thérèse Berger dirige depuis un an le théâtre Simone Signoret de Conflans Sainte-Honorine. La saison 95/96 offre une programmation où se mêlent défis et têtes d’affiche Quand Primo Levi côtoie Guy Bedos, quand le théâtre de figures revient sur le devant de la scène, quand les comédiens s’immiscent dans le appartements, quand on refait le monde artistique aux cafés littéraires, quand les spectateurs deviennent acteurs, c’est déjà plus qu’un théâtre, c’est un fait de société.

 

Au cœur d’une agglomération de trente-deux mille habitants, le Théâtre Simone Signoret compte aujourd’hui, hors scolaires, mille trois-cent abonnés. D’une capacité de sept cent places, la salle a accueilli huit mille spectateurs au cours des deux dernier mois de l’année dernière. Un résultat dû à la volonté et à la politique de Thérèse Berger et des six membres de son équipe. Thérèse Berger rend aux parades un sens social. « Un théâtre, dit-elle, doit être tout à la fois lieu de plaisir, de discussion et de convivialité dans la ville. Il est important que les habitants jouissent pleinement d’un spectacle qui les fera aussi réfléchir. »
Au cœur de l’agora, les langues se délient, les débats vont bon train. Le théâtre Simone Signoret a pour dessein avoué de réinventer la notion de forum, de donner la parole aux acteurs de la ville, en lançant sur la place publique des thèmes aussi polémiques et complexes que l’Algérie, le Sida, le tiers-monde, la volcanologie…
Le 24 octobre dernier, le dramaturge algérien Slimane Benaïssa est venu parler. « C’était en pleine période d’attentats, » se souvient Thérèse Berger. « Malgré l’inquiétude générale, cent-vingt personnes sont venues poser des questions sur des problèmes aussi divers que la langue, la culture ou le droit des femmes. Ce débat répondait à notre urgence de citoyens du monde. Il est important qu’une petite ville de banlieue ait de telles discussions… » Le 2 décembre s’y produisit un travail autour du Sida, mené par la compagnie Théâtre and Co. Les acteurs présentaient un scénario intégral, puis le rejouaient en proposant au public d’intervenir. Sous les yeux de parents intimidés, de nombreux lycéens se manifestèrent. Ce soir-là, quelque chose s’est déclenché dans les familles. « Théoriser un problème du fond d’un fauteuil est une chose, mais être en situation d’argumentation de manière ludique est un atout pour affronter la réalité… »
Thérèse Berger tient à diriger un espace de convivialité. Quitte à briser le rapport scène-salle, autant aller jusqu’au bout et changer de décor. À l’occasion, elle fait installer des petites tables, pour une soirée cabaret, ou un café littéraire. « Il faut étonner les gens… Nous tentons de créer ambiance chaleureuse où chacun se retrouve autour d’une boisson et de quelques gâteaux. » La coupe et les lèvres de Musset, joué par la compagnie Appellation Théâtre Contrôlée, a fait l’objet, le 14 novembre, d’un de ces cafés littéraires. Dominique Lurcel et son public y ont confronté leurs points de vue sur le romantisme. Un mois plus tard, Thierry Roisin, metteur en scène d’Antigone, s’est prêté au jeu.
Pour avoir lieu quelques jours après les représentations, ces rencontres veulent éviter les pièges du commentaire à chaud et de l’anecdote. « Le public vient en ayant lu la pièce ou des ouvrages autour de l’auteur. Il est arrivé que certains lisent des textes au metteur en scène. Le public de théâtre doit ressembler à celui de l’opéra qui a en tête le livret et plusieurs interprétations. » Les metteurs en scène ont affaire à un public « ordinaire » mais connaisseur, préparé.