Par Nathalie Bentolila
L’hôpital, la prison et la maison de retraite : que justifie – en dehors de la mode Douste-Blazy qui date déjà de l’automne dernier – que l’on rassemble dans la même commande ces trois institutions ?
Confondre les trois lieux que sont l’hôpital, la prison et la maison de retraite présuppose que l’on reconnaisse un statut commun entre le malade, le vieux et le détenu…Comment les commanditaires et les artistes le définissent-ils ? Ces personnes seraient toutes « exclues » de la ville, victime d’un même « déficit de citoyenneté ». La coupure est réelle, vécue au quotidien, et, ce qui est au moins aussi grave, vécue sur le plan des représentations. Une fois là, on ne peut pas se penser soi-même autrement que comme détenu, malade (c’est-à-dire personne immobilisée subissant un traitement) ou vieux (1). On ne peut nier l’exclusion de fait – la prison est entourée de murs – mais doit-on entériner la coupure mentale par des dispositifs renforçant la symbolique de la captivité ? On peut se demander si le corollaire de la « détention » dans ces institutions, l’exclusion de la parole, est spécifique à ces personnes. Le détenu, le vieux, le malade, sont ceux à qui on ne demande pas leur avis, et qui, à force de ne plus le donner, finissent par ressasser leurs troubles et renoncer à les verbaliser pour autrui. Mais comme le fait remarquer Leslie Kaplan « personne n’est de plain-pied dans s parole ». S’il existe un statut commun, le critère à l’aune duquel on juge de la réussite ou de l’échec d’un projet devrait être le même. Or les témoignages des équipes artistiques de ces « Bruissements » prouvent que ce n’est pas le cas.
Les différences entre les trois institutions désignées s’imposent de façon plus convaincante. L’hôpital et la prison sont des lieux d’expertisation du traitement de la peine et du soin. Pour les « vieux », rien, en dehors de l’indisponibilité croissante des familles et d’une société qui ne supporte plus l’improductivité et le flétrissement, ne justifie qu’on les parque entre eux. De plus, l’hôpital est fait pour soigner, la maison de retraite aménage un espace spécifique pour vieillir ; dans les deux cas le rapport avec les usagers est de collaboration… La prison ne se contente pas de priver de liberté ; elle remplit une fonction d’expiation. L’application de la peine repose sur la violence.
Le véritable point commun, c’est que tous sont usagers de services publics. C’est pourquoi il est déterrninantl pour les artistes et les « populations » en question, de penser séparément ces expériences. Les conséquences de l’amalgame finissent par porter préjudice à tout le monde. La confrontation globale de l’art à la « maladie sociale » crée des cultures sur mesures propres à ces espaces, auxquelles les personnes n’ont ensuite d’autre choix que de se conformer.
Stigmatisation totale des catégories en question : l’argument selon lequel il faut « aller vers les exclus » se retourne contre ses promoteurs. Les artistes, en prenant le parti de la marginalité de ces lieux, entérinent leur coupure avec la ville. Or, dire que la prison, l’hôpital et la maison de retraite sont des morceaux de la société légitime la circulation entre l’intérieur et l’extérieur sans qu’on ait à recourir à un quelconque alibi psychosocial. Une piste, pour donner à ces projets une vraie dimension politique et sortir de l’impasse charitable, serait de poser la dignité des personnes non comme conquête, mais comme préalable. Conséquence de ce renversement : on ne travaillera plus pour les gens mais avec eux.