Saxifrages, murs et membranes

EXTRAIT

La philosophe Marie-José Mondzain revisite avec nous certaines images-concepts qui ont jalonné et nourri sa réflexion sur les possibles de l’action politique. De la saxifrage, qui symbolise une énergie presque invisible, porteuse
d’une tenace volonté démocratique, en passant par la mitoyenneté qui associe séparation et échange, à la membrane qui protège et en même temps relie par osmose et porosité.

MARIE-JOSÉ MONDZAIN / ENTRETIEN

Quand j’ai découvert votre texte, Saxifraga Politica, j’ai été étonnée de ne pas en avoir entendu parler davantage, et assez enthousiasmée par ce que vous proposez comme figure politique, une synthèse extrêmement poétique.
Je me demandais d’où vous était venue cette image ?

Marie-José Mondzain : Je fais partie
de la génération 68. On a fait des manifs, des barricades, généré énormément d’inventions, de mouvements protestataires… Par la suite, la question a été pour moi centrée sur la possibilité ou l’impossibilité de repenser en termes de « grève générale » . Je ne vois pas d’autres possibilités pour une situation révolutionnaire, qu’elle soit pensée dans la violence ou d’une façon moins incisive, qu’une mobilisation générale, inévitablement. Plus je parlais dans l’entourage politique ou militant, plus
j’avais la conviction que les conditions qui rendraient possible une situation de grève générale n’étaient plus là et risquaient même de ne plus jamais se présenter. Au moment de l’Appel des appels 1, lorsque nous avons évoqué avec mon amie Aline Pailler 2 les conditions de la possibilité d’une situation révolutionnaire, nous avons été très mal reçues. Les analyses autour de nous, en dehors de ce qui pouvait paraître de l’ordre de l’acceptation du système, montraient que l’idée d’une mobilisation générale restait une affaire théorique, dans un horizon encore indéfini.

J’ai commencé, parce que je voyageais
pas mal en Afrique et au Brésil, à parler des termites, du travail invisible des insectes, d’une clandestinité des érosions. J’ai d’abord évoqué la vie des
insectes, en disant qu’au fond ils arrivaient à détruire et à construire de façon souterraine et colossale et à menacer, à faire tomber. S’il y a trop de
termites, tout s’effondre. Cette image m’a amusée, je me disais « nous
devons faire un travail de termites » , mais ce qui m’ennuyait, c’est que ce
travail se signalait par son pouvoir de destruction. Et penser la révolution, la
transformation du monde et la vision des forces qui nous écrasaient uniquement en termes de destruction me semblait insuffisant, c’était n’évoquer le pouvoir de transformation que sous sa forme négative. […]

Propos recueillis par Coline Merlo

1. Ce collectif réunit des professionnels du soin, du travail social, de la justice, de l’éducation, de la recherche, de l’information et de la culture qui « résistent à la destruction volontaire et systématique de ce qui tisse le lien social ». www.appeldesappels.org
2. Journaliste et femme politique féministe engagée à gauche.