Par Valérie de Saint-Do
Avec tambours, trompettes et drapeau étoilé. Lille 2004 affiche fièrement son bilan chiffré, ses retombées médiatiques, son audience internationale… Et l’art et la culture dans tout ça ? questionneront les irréductibles qui ne se satisfont pas d’une évaluation purement quantitative. Le foisonnement festif et la surenchère dans l’excellence internationale peuvent-ils poser les jalons d’une politique culturelle ?
Comme tout label, celui de « capitale européenne de la culture » est sujet à caution. Faut-il y voir une tentative de rattrapage, voire d’alibi, face au peu d’enthousiasme des politiques communautaires à prendre la culture au sérieux ? Ou, plus cyniquement, la vente d’une marque « culturelle » propre à attirer les investisseurs et les cadres de haut niveau, dans une logique de concurrence entre les grandes métropoles européennes ?
En résumé, « Une capitale de la culture peut-elle être autre chose qu’une entreprise de communication ? » s’interroge le directeur d’une structure culturelle locale, qui a préféré garder l’anonymat. Autoproclamé « plasticien du champ », fils spirituel de Duchamp Marcel et de Pierre Bourdieu, Benoît Eugène va plus loin. Entré par effraction dans Lille 2004, via l’exposition « Amicalement vôtre » au musée des Beaux-Arts de Tourcoing, sa performance dans la chapelle de l’hospice d’Avray a fait grincer quelques dents.
On y célébrait les noces d’Art et Entreprise, enfants des familles Banque-Assurance et Beaux-Arts-Nouvelles Technologies, mariés par la déesse Europe avec une homélie mi-potache mi-corrosive sur les bienfaits de l’économie de marché pour la culture, et vice-versa.
La dérision s’appuie sur l’analyse que ce sociologue pratique depuis des années sur le champ de la culture en général et des arts plastiques en particulier : « Les villes développent une stratégie de marketing urbain pour attirer les investisseurs, et la culture est l’un des critères d’attractivité.
Un événement comme Lille 2004 développe deux discours et deux politiques : l’une internationale, avec des noms, l’autre commerciale, en direction du peuple. Et la culture pour le peuple passe par les grandes surfaces : ainsi, Carrefour sponsorise des contes pour enfants et relance la fête de la Saint-Nicolas dans les supermarchés. »
Le bilan, qui insiste lourdement sur les retombées médiatiques et économiques (+ 27 % de nuitées pour les hôtels, par exemple) conforte cette analyse, comme les commentaires officiels : « Lille 2004, c’est un nouveau départ : nous avons gagné dix ans de notoriété. Lille 2004, c’est aussi et surtout la fierté d’une population d’avoir réalisé un grand événement. Nous avons montré ce que nous sommes, notre art de vivre, la Lille touch », commente Martine Aubry sur le site officiel de Lille 2004. Et d’ajouter dans La Voix du Nord : « Lille figure désormais sur la carte des tour-opérateurs. »
Le combat pour l’image de la métropole nordique est de bonne guerre et d’aucuns pourraient se réjouir qu’il se traduise par une volonté de rayonnement culturel plutôt que par la venue des Jeux olympiques.
Voici vingt ans, Lille et la région Nord – Pas-de-Calais souffraient de ce que le jargon des communicants qualifie de déficit d’image. Frappée de plein fouet par la désindustrialisation, la ville a fortement misé sur le tertiaire et les services.
Entre la gare historique et la gare TGV, le centre commercial Euralille en est le symbole : « un signal fort pour montrer que les populations arriérées du textile et de l’industrie se tournent vers l’avenir », selon Benoît Eugène.
La ville s’est, en vingt ans, considérablement « gentryfiée » : le vieux Lille est rénové, le quartier populaire de Wazemmes en voie de boboïsation accélérée. La rénovation du vieux Lille a délocalisé bon nombre des artistes vers des quartiers tels que ceux de Wazemmes ou Moulins, ou à Roubaix, désormais riche en lieux de culture, comme le musée d’Art et d’Industrie installé dans une ancienne piscine et La Condition publique, vaste friche industrielle transformée par l’architecte Patrick Bouchain. Comme ailleurs, la culture, dans sa version prestigieuse, est un puissant vecteur de réhabilitation des quartiers populaires… au risque qu’ils ne le soient plus.
Les quartiers les plus déshérités, à Lille-Sud, Fives ou Faubourg-de-Béthune restent en manque d’équipements et de politique culturelle.