Par Valérie de Saint-Do
Vingt-cinq ans. Vingt-cinq ans de l’aventure d’artistes qui ont vécu heureux et plutôt cachés dans un lieu parisien improbable, près des Buttes-Chaumont. Il serait regrettable que l’aventure du Tunnel n’ait pas de prolongement…
Le Tunnel n’est pas un squat. Ni une maison de quartier. Cachée dans l’arrière-cour d’un immeuble, tout près des Buttes-Chaumont, cette grande maison tout en verrières s’est vue occupée, dès 1981, par six militants utopistes, musiciens, peintres et comédiens, mais qui hésitaient à s’affubler de l’étiquette d’artistes. L’époque était aux expériences communautaires, à un refus d’une frontière entre la pratique artistique et le mode de vie. Les premiers occupants du lieu, dont la moyenne d’âge ne dépassait 25 ans en 1981, étaient tous issus d’une mouvance d’expériences associatives, peu ou prou liées aux circuits de l’éducation populaire, comme Mariette Barret, seule des fondateurs à y avoir pris racine. […]
Le Tunnel s’est voulu un lieu de vie à partager, allergique à tout ce qui aurait pu risquer de formater sa vie. « Pas de définitions, pas de programmation, pas de planification, pas de médiatisation, a écrit Mariette Barret. Parfois, il ne s’y passe rien, il n’y a pas de forcing culturel, juste un espace vide où tout peut advenir à nouveau. Un lieu où il y a du silence comme à la campagne, dans la ville. Il y a de l’indéfini dans cette aventure poétique au quotidien. Ce n’est pas un lieu de monstration commerciale du produit fini. Peut-être est-ce pour cela qu’il fallait garder l’anonymat… » […]
Le Tunnel arrive en fin de bail l’an prochain, et Mariette Barret s’interroge sur la suite de l’aventure. La stratégie du « vivons heureux, vivons cachés » a trouvé ses limites. Beaucoup d’artistes sont passés par le havre des Buttes-Chaumont, plasticiens, musiciens, compagnies de théâtre ; parmi ces dernières la compagnie de l’Ours, la cinquième saison – qui a entretenu avec l’association des rapports privilégiés allant jusqu’à la coproduction d’un spectacle présenté au Théâtre des Quartiers-d’Ivry -, Michel Froehly et Françoise Le Poix, Robert Cantarella, Claude-Jean Philippe… L’inventaire deviendrait vite fastidieux, mais serait de nature à surprendre les tutelles culturelles par les multiples noms d’artistes qui, selon l’expression consacrée, ont fait du chemin depuis… parfois loin de l’esprit du Tunnel.
Les réalités foncières et immobilières parisiennes doivent-elles dicter la fin de cette aventure ? Après vingt-cinq ans d’autonomie revendiquée et assumée, il semble temps d’interpeller les pouvoirs publics. Le Tunnel continue à s’ouvrir à des initiatives inclassables, voire impossibles : citons parmi elles la lecture récurrente de L’Esthétique de la résistance, de Peter Weiss, par Laurent Grisel. La multiplication des squats artistiques a montré le déficit chronique de lieux de travail pour les artistes à Paris. Le Tunnel offre à la fois un havre de travail et une volonté persistante d’ouverture à des initiatives au-delà du spectaculaire, au-delà du clivage amateurs/professionnels, artistique et social… Il serait bon que les pouvoirs publics aient la curiosité de s’y intéresser et la volonté de le défendre. Pour que le Tunnel sorte enfin de l’obscurité.
Le Tunnel, association Pluriels – 21, rue du Tunnel 75019 Paris.
Lectures de L’Esthétique de la résistance de Peter Weiss, par Laurent Grisel,
les mardis 5 et 12 juillet, 13, 30 et 27 septembre, 4, 11, 18 et 25 octobre.