Le mythe et le temps. Entretien avec Henry Bauchau

Propos recueillis par Irène Sadowska Guillon

« Le chemin », séminaire de travail théâtral organisé par le Centre des arts scéniques de Belgique du 1er au 12 juillet à Bruxelles et du 14 au 26 juillet 2000 à La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, a donné un coup de projecteur sur l’écrivain belge Henry Bauchau dont la pensée et l’écriture, liées à l’actualité de notre époque, réinscrivent ses grands questionnements sur l’homme dans un cheminement qui prend sa source chez Sophocle. « Le chemin d’Henry Bauchau » qui regroupait des travaux de plusieurs jeunes metteurs en scène belges et français, articulés sur des textes tirés des romans Œdipe sur la route, Antigone, du récit Diotime et les lions et du Journal d’Antigone, révélait la théâtralité sous-jacente de son écriture apportant un éclairage nouveau aux mythes fondateurs du théâtre.

Cassandre : Alors que les références à l’histoire, aux mythes et aux figures fondatrices du théâtre sont légion dans votre œuvre – qui a suscité de nombreuses adaptations pour la scène -, le théâtre proprement dit n’y est abordé que deux fois, dans Gengis Khan et La Machination


Henry Bauchau :
La poésie que j’ai commencé à écrire à la suite d’une analyse, dans les années 40, a été la matrice de mon écriture. Lorsque j’ai écrit en 1954 une première pièce, Gengis Khan, j’habitais en Suisse, où il était difficile de trouver un théâtre pour la jouer. Finalement elle a été créée par Ariane Mnouchkine en 1961 avec une troupe de comédiens étudiants aux Arènes de Lutèce à Paris. C’était son premier spectacle. Gengis Khan n’a été repris qu’en 1987 par Jean-Claude Drouot au Théâtre National de Bruxelles.
À l’époque il me semblait que le théâtre était plus près de la poésie, qu’il avait des possibilités d’expressions que je ne croyais pas trouver dans le roman. Mais le théâtre demande la scène. Lorsque j’ai vu qu’il était difficile de faire monter une pièce, je me suis tourné vers le roman tout en continuant d’écrire des poèmes. J’ai tenté d’écrire une autre pièce, La Machination, qui cependant n’a pas rencontré d’intérêt. Je l’ai réécrite après sous le titre La Reine en amont. Mon écriture est assez dramatique mais les circonstances de ma vie ont fait que j’ai réprimé en moi le dramaturge. Maintenant, le roman correspond mieux à mon sentiment de l’écoulement du temps, de la modification lente de la vie.


On perçoit dans votre œuvre des interférences, une communication esthétique et thématique entre la poésie, où s’opère comme une saisie du matériau brut, et le roman, qui l’explore par la suite.

Il y a des relations plus ou moins évidentes entre mes romans et mes poèmes qui souvent ouvrent les pistes. Certains textes impulsent parfois un cheminement. L’inspiration d’Œdipe sur la route, roman dont l’écriture m’a pris cinq ans, et d’une série de récits dont Diotime et les lions qui tournent autour de la même histoire, m’est venue de La Reine en amont que j’ai écrit en 1967. Mais ce thème est aussi en rapport avec mon expérience de la psychanalyse et un événement de mon enfance, une maladie qui m’a isolé totalement, pendant un an, de la vie sociale.

À partir de l’interrogation des sources mythiques de la tradition théâtrale vous proposez une conception moderne de la tragédie…

La tragédie n’est pas nécessairement l’abandon à la passion, je la conçois en termes de lutte. La lutte entre ce qui émerge de l’inconscient et pousse vers une expression exagérée de l’ego et, ce qui en soi, appelle à l’ordre, à l’harmonie, à la beauté.