Par Alix de Morant
Le théâtre ambulant naît le plus souvent d’une utopie artistique qui cherche à faire éclater les cadres de la représentation, pour instaurer avec le public un rapport de proximité, et susciter un temps de partage entre une troupe et son public. Les formes de l’itinérance, héritée d’un passé forain, raniment l’espoir d’un service public, et ravivent les souvenirs vivaces des « comédiens-routiers ». C’est dans un contexte de crise, crise de la décentralisation, de la dramaturgie, que s’ébranle un théâtre d’événement, une architecture éphémère pour que s’épanouisse un espace de partage. L’itinérance interroge le processus théâtral et ses modes de fabrication.
Théâtre sans lieux, théâtre d’espaces
Il s’agit avant tout d’un rejet du théâtre en dur, pour recréer un espace de manifestation informelle qui ne soit pas prisonnier des conventions. Comme l’écrit Denis Guénoun (1) : « Le retour vers les salles à l’italienne s’est alimenté d’une croyance en leur supposée neutralité, en la possibilité de produire sur leurs plateaux des gestes théâtraux simples et purs. Comme si l’espace des salles était corrompu et l’air des théâtres vicié, les compagnies de théâtre ambulant se cherchent en éprouvant des spectacles de plein air, pour retrouver à ciel ouvert la qualité symbolique et physique de l’acte théâtral. »
En effaçant le rapport scène/salle, le théâtre ambulant cherche sa légitimité dans un espace de l’acte où le geste circule librement, où l’acteur et son public sont les membres réunis d’un seul corps, que fait respirer le souffle de la parole. La rencontre s’opère sans médiation. S’appropriant le credo du cirque « une ville, un jour », les défenseurs de l’ambulation cherchent un idéal de la représentation qui voudrait que, de chaque lieu, surgisse une magie particulière.
Les dispositifs, tentes, chapiteaux, camions, cherchent à se fondre dans le paysage pour y créer l’événement. René Parera, évoque le théâtre comme une « machine désirante », poursuivant la chimère d’un cheval de Troie qui capture une ville dans les rets d’une rêverie poétique. Nombre de structures mobiles sont conçues comme des théâtres idéaux, dans l’utopie, d’un espace espace à 360°, générateur de poésie et de démocratie.
L’équipement rudimentaire réduit la surface d’intimidation propre à l’objet culturel. La plupart des scènes ambulantes optent pour des dispositifs polyvalents et cassent le rapport frontal, pour adopter des formes résurgentes de la piste, la bi-frontalité, ou le demi-cercle. La structure démontable affiche sa volonté de disparaître au profit de l’acte.
À défaut de transparence, le théâtre mobile fait étale ses dessous. Le temps d’installation devient un événement scénique. Pour Nicolas Peskine (2), « ce qui est dans la salle est d’ordre artistique, et la façon de remplir la salle l’est aussi. Ce n’est pas une chose que l’on doit abandonner aux marchands ». Le temps de montage et de démontage de son théâtre mobile est un temps vie qui prolonge le temps de la représentation. L’installation du théâtre, le repliement de la toile, en suspendant le temps du quotidien, invitent le public à une fête de la rencontre et de l’effort dont la représentation est le point culminant. En dévoilant la coulisse, le théâtre s’anoblit du geste de l’artisan, fait œuvre de compagnonnage dans l’échafaudage poétique d’une ville qui se rêve. En imposant le théâtre comme une construction collective, le théâtre itinérant restaure une vocation de « bâtisseur de l’esprit ».
1. Denis Guénoun : in Actes du Forum de Loches, Juin 1996. Editions HYX, Orléans 1997.
2. Tiré de la table ronde animée par Georges Banu, in Théâtre ambulant : nouvelles formes, nouveaux lieux. Actes du Forum de Loches.