Humeur de Jacques Livchine

Tout me fatigue

La rue !

Parce que lors des présentations de la FAIAR, les professionnels invités
jugent avec le premier critère évident :

La rue c’est dans la rue !
or

Magali joue dans un immeuble,
Constance dans un bar à putes
Julie dans un parking rééinventé
Estelle dans un square

Alors le Thomas Hahn de Cassandre, comme Pierre Guillois de Bussang

disent : c’est où la rue ? C’est ça votre théâtre de rue de l’avenir ?

Notre rue primitive est elle perversifiée ?

Notre manifeste doit donner une réponse, donner une réponse
sur ce sujet. On a fait divers essais, Luc Perrot est gentil de trouver ça
pas mal. Extraits

« Pour nous voir il n’y a pas besoin de vigiles ni de pousser la porte.
Nous sommes pour tous les yeux et toutes les oreilles.
Nous parlons à la fois aux analphabètes et aux bardés de diplômes.
La seule célébrité sur laquelle nous nous appuyons se trouve sous nos pieds.
La rue.
C’est notre scène, notre arène, notre ring.
Nous sommes à la rue parce que nous le voulons »

Premiers balbutiements. ça passe ou ça passe pas ? Pour moi, ça passe pas .

De toute façon on n’a pas su dire pour qui il était ce manifeste ?

A placarder dans les festivals ? A publier dans la presse ?

Pour nous définir nous mêmes ?

On s’est réunis à 4.

On a cherché nos obsessions, nos maladies, nos ressemblances ; jouer
pour tout le monde, jouer gratuit, jouer hors des temples dévolus aux arts.

Quand Copeau quitte Paris, il nomme son ennemi, le théâtre commercial, lui
il veut le théâtre d’Art. C’est l’appel du vieux colombier, c’est musclé,
c’est vigoureux.

Mais moi si je me mets à dire ce que je pense vraiment, c’est l’apocalypse.
Alors si j’avais le droit je dirais :

Le théâtre en France va mal.
Et pourtant la France, nous dit -on est exemplaire, et enviée du monde
entier pour sa vie culturelle.

L’ennui : l’ennui habite nos salles de théâtre. Un public d’abonnés
cultivés, endormi ou hypnotisé, applaudit des oeuvres ternes, inodores,
aseptisées.

Le théâtre est devenu totalement mortifère, déserté par les jeunes en dehors
des élèves emmenés de force par leurs professeurs, le théâtre est devenu
mou, domestique, aligné.

Une véritable cour de marquis, de barons, de comtes et de comtesses gravite
autour du Ministère de la culture pour s’emparer des postes régulièrement
mis à disposition. On se pousse des coudes pour faire partie des « short
listes » de pré -selectionnés. C’est toujours le plus médiocre qui l’emporte.

Ceux qui osent dénoncer ce système sont jetés aux oubliettes, marginalisés,
blacklistés, évincés.

L’avenir n’appartient -il qu’aux mausolées ?

Naît alors depuis une vingtaine d’années en dehors de ce système
bureaucratique, un théâtre de résistance, un vrai théâtre engagé, poétique,
social, qui se joue hors de tous ces lieux officiels et subventionnés.
,
Ce théâtre se joue « hors théâtre » un peu partout, dans des espaces publics,
pour des publics neufs, émerveillés.
C ’est du vrai théâtre de la vie, le vrai théâtre, impertinent, jeune
vivant, bousculeur, et surtout vivant.

Il n’est pas compassé, empesé, amidonné, il est foisonnant, généreux
débraillé, batailleur, brailleur.

D’un côté la vie, de l’autre la mort.

Il est temps que le ministère de la culture, à l’aune d’un changement de
régime, arrête d’embaumer la culture morte, et s’occupe de la culture
vivante.

Ce théâtre vivant, est reconnu par le Monde entier. Ce n’est pas la Comédie
Française, que les pays étrangers s’arrachent, mais le théâtre de rue
français.

Ces nouvelles formes de théâtre investissent toutes sortes de lieux, rues,
friches , forêts, campagnes, cours d’immeubles, villes, villages, parfois
même les théâtres.

C’est de l’Art en marche, plasticiens, musiciens, danseurs, se joignent à
cette cohorte d’artistes inventifs.

Evidemment ces nouvelles oeuvres ne se calquent pas sur les critères de
qualité habituelles. Adieu l’excellence culturelle, adieu la consommation
classique de culture, adieu l’entre soi, adieu la consanguinité.

C’est une vraie révolution.

L’art vivant pousse partout en dehors des lieux qui lui sont dévolus.
C’est un vrai mouvement qui avance inexorablement, poussé par le vent de
l’histoire.

1000 compagnies, 350 festivals.

Des expériences inédites totalement ignorées par les médias.
Des squatts, des lieux de fabrique, des rassemblements, un courant se
dessine.

La précarité y est de mise.
L’accès à l’intermittence devient de plus en plus sévère.
Sans arrêt, de nouvelles règles de sécurité tentent d’enrayer le mouvement.

L’Etat ne pense qu’à renforcer ses établissements nationaux, en plein déclin
et fermés à 85% de la population.

Le débat présidentiel n’aborde jamais les enjeux culturels, alors que 60 %
des français pensent que la culture est un bon moyen de lutte contre les
inégalités scolaires et pour le désenclavement de la société rurale.

Nous sommes des plantes sauvages, nous poussons là où il ne faut pas, ils
veulent nous mettre en pot.

I faut revendiquer le droit à l’émeute, l’émeute artistique.

Le problème ce n’est pas l’ISF, ou l’impôt sur le revenu, le problème, c’est
que notre art est aussi indispensable à l’homme que la chlorophylle à la
nature, le problème c’est que nous avons beaucoup plus besoin de désordre,
que d’ordre.

Voilà pourquoi nos candidats ne devraient pas avoir les yeux rivés sur le
sondages, mais sur les urgentes et cruciales questions culturelles.

Il faut déconstruire le système culturel actuel, le reconstruire
autrement,inverser les valeurs et les priorités.