Par Alix de Morant
La Ligue de l’enseignement travaille au plus près des acteurs du spectacle jeune public. Amener l’enfant dans une salle de spectacle n’est pas l’achèvement du voyage, c’est un outil de formation aux langages artistiques. Depuis quinze ans le Centre de ressources « Spectacles en recommandé », et l’édition annuelle de visionnement qui regroupe en une semaine à Lons-le-Saunier, les délégués culturels de tous les départements, rapproche les artistes des associations, et maille les territoire de réseaux autour d’une programmation concertée.
Où en est-on du jeune public ? « La réalité du spectacle vivant est à l’étroit dans la catégorie qui la nomme, et les arts et les artistes qui y contribuent n’ont pour spécificité que le public auquel ils s’adressent. Cette dissociation est sans doute le fait le plus significatif de cette décennie qui s’achève » écrivaient en 1998 les auteurs de « Jeune Public en France » (1). Le cinquième cercle du théâtre serait-il condamné à n’être qu’un vivier de spectateurs captifs, destinés à renflouer le premier cercle, celui des Centre dramatiques et des Scènes nationales, pour qui le secteur est anecdotique ?
Combien de miettes pour les souris, quand la galette tombe dans la gueule du loup ? Longtemps victime de la médiocrité des productions, « autolégitimé » par ses relations privilégiées avec l’école, le secteur « jeune publie », est un creuset d’inventions qui frappe par l’originalité des solutions artistiques. Dans un environnement indigent, obligées à beaucoup tourner pour rentabiliser leur travail, la force des compagnies vient de leur mobilité, et les échanges interdisciplinaires y sont parfois plus riches qu’ailleurs en terme d’impact sur le public.
Il serait bon de parler de théâtre et, ensuite seulement, de « jeune publie ». Car il s’agit d’un théâtre d’auteurs, d’artistes qui placent l’enfance au cœur de leurs préoccupations. Un théâtre qui s’adresse aux sens, à l’imaginaire, à l’intelligence. Un théâtre qui ose la question d’un dialogue entre adulte et enfant. Il serait juste de placer le débat dans une logique de langage des formes, d’éducation aux pratiques artistiques. Il serait juste de considérer le jeune publie comme un champ du théâtre, porteur d’enjeux de société.
Dans la perspective de l’éducation populaire et du développement de la responsabilité « citoyenne », la préoccupation culturelle et artistique a toujours été présente à la ligue de l’enseignement. Un mouvement qui, sans être inféodé à l’Éducation Nationale, est le partenaire d’une réflexion pour une école rénovée par la présence de l’art. Fondée sur le militantisme, dans un esprit mutualiste, le travail en réseau des Fédérations des Œuvres Laïques, s’appuie dans chaque département sur la dynamique des associations locales et des politiques territoriales.
« Spectacles en recommandé » propose chaque année une sélection de spectacles « jeune public », et défend l’idée d’une « Médiation culturelle ». En répondant aux initiatives de terrain et en favorisant le partenariat entre artistes et populations, l’agence donne à la création une fonction élargie. L’art y est conçu comme un acte personnel et collectif qui prend en compte le particularisme de l’enfant. Le spectacle comme révélateur d’un état de société.
Susciter le dialogue entre artistes et spectateurs ; tel est l’enjeu. Les réseaux régionaux de diffusion de la Ligue qui regroupent des professionnels du spectacle et des partenaires d’accueil, rencontrent toutes les problématiques du maillage des territoires et de l’exclusion géographique. À « Coté cour », centre de diffusion en Franche-Comté, l’absence de lieux n’est pas vécue comme un handicap. C’est aussi l’opportunité d’amener la culture au plus près des habitants. En s’implantant en milieu rural, en permettant l’égalité de l’accès au spectacle, « Coté cour » affirme sa complémentarité avec les institutions. Grâce à son travail, des villes dépourvues de structures accueillent une programmation régulière. Mais les médiateurs des F.O.L., ont le sentiment de n’être pas assez reconnus des pouvoirs publics et des professionnels de la culture.
Si la polyvalence des acteurs et la souplesse de l’équipe leur donnent la capacité de jouer tous les rôles, la difficulté est de devoir pallier à l’absence d’équipement des salles polyvalentes, et de militer pour un regroupement des publics, en évitant les écueils idéologiques liés à l’histoire du mouvement. Initiateurs de projets, organisateurs de spectacles, régisseurs, les délégués départementaux de la ligue font face aux réalités du politique pour justifier la validité de leurs actions auprès des collectivités territoriales, des théâtres, des éducateurs.
Seule une politique de conventionnement, avec contractualisation des objectifs, permettrait d’engager des processus de long terme. Un travail patient de sensibilisation, un essai de théorisation visant à réhabiliter le spectacle jeune publie en tant qu’« école du regard », impose les fédérations comme alternative aux circuits institutionnels. Un point de vue que partage le milieu associatif local, qui redoute de se faire absorber par un dispositif centralisateur. A Saint-Claude, ville historique de la pipe et du diamant réfractaire, la collaboration entre Coté Cour et La Fraternelle, est étayée par la vitalité d’une troupe amateur qui travaille avec les compagnies régionales et diffuse ses créations dans les communes du département.
Depuis dix ans, le Théâtre de la Fraternelle fait revivre la Maison du Peuple, et s’engage auprès de la FOL du jura pour une programmation mensuelle « jeune publie ». Une histoire d’amitié et d’entraide pour légitimer les ambitions artistiques de l’association. Héritiers d’une utopie, ses militants poursuivent l’œuvre accomplie par le mouvement coopératif et ouvrier depuis la fin du XIXe siècle dans ce haut lieu de l’histoire. Au cœur de la ville, les quatre mille mètres carrés de la Maison du Peuple portent la mémoire socialiste du jura et concentrent depuis un siècle la créativité du mouvement ouvrier.
Un rêve édifié dans la pierre, une maison labyrinthe aux murs chargés d’odeurs, le château d’une république au bois dormant. En 1899, Jaurès vient encourager les coopérateurs de Saint-Claude, qui veulent suivre l’idéal du dijonnais Etienne Cabet et bâtir une maison commune sur le modèle des organisations ouvrières belges. En 1910, l’immeuble de la rue de la Poyat devient le siège de la coopérative alimentaire La Fraternelle, abrite une bourse du travail, des magasins, le bureau des syndicats et les presses du Jura Socialiste. Un café, une salle de spectacle, un gymnase, des sociétés sportives et culturelles, pour que « ceux qui travaillent ensemble le jour, dansent ensemble le soir », complètent le tout. La cathédrale des temps nouveaux marque l’avènement du mouvement ouvrier. De 1900 à 1940, La Fraternelle participe aux grandes luttes ouvrières, à la création des coopératives de production, et participe au ravitaillement des maquis pendant la seconde guerre mondiale. À la liquidation des biens, héritiers d’un bâtiment et d’une philosophie, les derniers coopérateurs créent l’association La Fraternelle, et obtiennent l’inscription du monument à la liste supplétive des Monuments historiques. Poursuivant la mission de leurs aînés, les membres de La Fraternelle réaniment la Maison du Peuple autour d’un noyau de bénévoles, et inscrivent leur patrimoine culturel dans une mission de développement local. L’association gère un ensemble immobilier, un cinéma, un café, une programmation « jazz au Café »2, les archives ouvrières et coopératives, un théâtre, un atelier du patrimoine et un projet de résidence. Il faut descendre dans ses entrailles pour découvrir les richesses architecturales de la Maison du peuple. Quelques travaux ont permis de mettre aux normes des espaces, mais les vieux bois du théâtre exigent un projet de rénovation et l’aspect du lieu, encombré de cuves à vin, de chambres froides et de livres poussiéreux, est celui d’une friche industrielle criblée de lieux de vies. La transversalité des champs d’activités semble dictée par l’espace en colimaçon, un marcottage d’initiatives fédéré chaque année par un thème : la presse, la vie au café, la coopérative. Au second sous-sol, l’Atelier du Patrimoine est un musée vivant de l’imprimerie, de Gutemberg à la PAO. Michel Bastien, professeur d’Arts plastiques, détaché par l’Education nationale, utilise la matrice de création des imprimeries locales, et retrouve des gestes d’artisan pour initier les enfants des écoles à la fabrication du livre. Sur des machines usées, ils réinventent un livre unique, un objet d’art fait de leurs poétures et de leurs peintries. La collection de livres-ficelles, d’affiches-poèmes, d’objets à lire, les colportages savants de l’atelier du Chamagnon, témoignent du désir d’art de chaque enfant comme source inépuisable des imaginaires. Ici, les traditions communautaires régénèrent les idéaux passés.
1. Dominique Bérody et Evelyne Lecucq : « Jeune Public en France », AFAA, 1998.
2. Inscrite au répertoire des scènes de musiques actuelles.