D’abord, merci !
Merci à tous ceux qui ont contribué à faire de l’anniversaire des 15 ans de cette revue un très beau moment, à commencer par la remarquable équipe du théâtre Monfort et tous nos amis, penseurs, artistes et activistes de l’art. Nous avions besoin, dans cette période inquiétante, de retrouver notre souffle et de refonder le sentiment d’une force commune. Et ce fut le cas. Et, vous le remarquerez, nous en profitons pour améliorer la forme, pour clarifier encore notre maquette.
Il nous faut maintenant avancer, continuer ce pari insensé lancé il y a quinze ans, qui consiste à relier entre eux des univers que le vieux système féodal qui sévit encore à l’arrière-plan de nos structures et de nos esprits s’acharne sans cesse à séparer. Ce vieux système féodal qui divise et fragmente – et dont les ravages se font sentir jusque dans certains milieux de la gauche « intellectuelle » – est devenu le plus sûr allié des marchands sans foi ni loi qui tentent de faire main basse sur le monde. Nos lecteurs attentifs le savent, ce que nous défendons ici depuis quinze ans dépasse largement les miasmes d’un petit milieu franco-français de la « culture » replié sur lui-même et menacé d’asphyxie. Le temps n’est pas aux guerres picrocholines, et nous laissons à d’autres, qui ont du temps à perdre – et à faire perdre à ceux qui veulent agir –, les éternelles et vaines ratiocinations sur les multiples sens du mot culture dans notre langue.
Lorsque, pour éviter ce piège stérile, nous évoquons l’univers du symbole, c’est évidemment pour insister sur le fait qu’au-delà de tout corporatisme, les combats de la psychiatrie, de l’éducation, de la justice, de la santé, de l’information, (et bien sûr, du geste artistique), sont les nôtres ! Car ce sont profondément des combats pour l’humain. Il est vital de renouer le lien entre les outils immatériels qui doivent permettre de reconstruire la vision d’une humanité généreuse,hospitalière, curieuse d’elle-même et du monde. Ces outils – immémoriaux et toujours renouvelés –, dont la valeur ne peut jamais, sous peine de disparaître, être évaluée par des chiffres, sont tous aujourd’hui en danger. Pour relier entre elles des professions, des démarches, des pensées qui trop souvent s’ignorent ou dialoguent mal entre elles, il faut élargir les champs de conscience en s’efforçant d’échapper à une spécialisation excessive qui mène à l’impuissance.
Dans cette optique, la rencontre avec le mouvement de l’Appel des appels a été un moment très important de notre parcours. Et nous sommes particulièrement heureux que Roland Gori, son principal initiateur, ait été des nôtres à l’occasion de la fête au Monfort. Si la catastrophe politique que nous subissons aujourd’hui a une utilité (à condition bien sûr qu’on ne la laisse pas aller à son aboutissement), c’est de nous pousser à franchir les frontières, à nous rapprocher. De nous obliger à retrouver les profonds dénominateurs communs que l’organisation actuelle de la société tend peu à peu à occulter.
L’ouverture est un élément essentiel de la résistance et il faut à chaque fois ouvrir de nouvelles fenêtres. L’une des ouvertures que nous nous proposons ici concerne le Québec,terreau foisonnant d’expériences et d’initiatives artistiques, si méconnu et que l’on croit connaître, à tort. Et nous continuons bien sûr à explorer le cheminement automnal de ce que l’on a appelé le « printemps arabe », comme nous persistons à soutenir les lieux précieux qui tentent de mettre en pratique la conception démocratique de l’échange artistique que nous défendons dans ces pages. Des lieux que certaines tutelles – en oubliant le sens du mot « service public » – voudraient vassaliser. Lieux qui, comme le Lavoir moderne parisien 1, l’International Visual Theatre 2 ou la Maison d’Europe et d’Orient 3, courent aujourd’hui le grave danger de subir un sort comparable à celui du Théâtre du Lierre 4…
Faut-il le rappeler ? Notre propos, comme celui de tous ceux qui s’efforcent de résister intelligemment à l’air vicié de ce temps, ce n’est évidemment pas de préserver une profession ou un milieu. Non, notre propos est d’éclairer et d’alerter le plus grand nombre possible de nos contemporains – de toutes professions et conditions – sur le caractère, essentiel pour une civilisation, des différents outils qui servent à véhiculer des idées, des émotions et des valeurs, en vue de la construction de l’humain. Certains, de plus en plus nombreux, l’ont compris. D’autre non.
Nicolas Roméas