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Histoire d’une revue culturelle

Lorsqu’à la fin de l’année 1995 nous avons créé la revue Cassandre,
devenue Cassandre/Horschamp, nous inventions une agora de papier et une
vraie utopie en actes. Un service public modeste, mais réel, de
l’information autour de l’action artistique. Nous voulions être libres
de parler de ce qui est ignoré dans presque tous les médias (car il n’y
a rien de tangible à y gagner) : l’art en action dans la collectivité.
Celui qui s’efforce de retrouver son sens, sa vraie utilité.

Nous y donnions la parole à Arthur Miller, Pierre Bourdieu, Peter Brook,
Giorgio Strehler, Patrick Champagne, Ariane Mnouchkine, Bernard
Stiegler, Édouard Glissant, Patrick Chamoiseau, Pippo del Bono, Jean
Oury, Marie-José Mondzain et beaucoup d’autres… Ces grands témoins nous
ont permis d’analyser et éclairer les actions menées dans la pénombre
que nous explorions sur le terrain, en milieu rural, dans le monde
carcéral, dans les quartiers réputés « difficiles », en hôpital
psychiatrique, etc. Chaque être humain détient une fibre artistique, et
que c’est pour cela que l’art concerne tout le monde, y compris ceux qui
n’en font pas leur métier. L’art ne peut jamais se contenter d’être un
divertissement. Dans toutes les cultures, il est né pour répondre à des
difficultés humaines. C’est pourquoi, dans cette société aseptisée qui
veut masquer ses plaies, nous allons souvent le chercher dans ce que
nous appelons les « lieux de difficulté ». Notre position, dans ce grand
clivage historique entre une culture d’« élite » et celle qui est faite
par tous et destinée à tous, est celle de l’éducation populaire, de la
démocratie culturelle, face à la conception d’une démocratisation venue
d’un « en haut » inaccessible.

L’équipe de la revue qui, de 1995 à 2016, a œuvré – sans objectif de
rentabilité – sur le papier et par des rencontres, à la découverte d’un
geste artistique principe actif du mouvement des sociétés humaines, a vu
comme beaucoup d’autres acteurs de la culture, ses soutiens publics
diminuer. Jusqu’à disparaître. La revue a dû renoncer à sa publication
en 2017 après la perte du soutien de la Région Île-de-France.
Cette démarche d’exploration, de débat et de réflexion sur l’art, qui
permet d’en faire comprendre la valeur et le sens au plus grand nombre,
est aujourd’hui plus que jamais nécessaire, face à l’agression mondiale
et systématique de l’évaluation quantitative et à l’obsession du chiffre
qui envahit les lieux d’échanges et menace d’assécher nos imaginaires.
Pour ce qui concerne les recensions de moments ou d’objets artistiques,
nous avons voulu inventer une nouvelle critique qui ne se contente pas
d’un regard esthétique sur les œuvres, mais s’efforce d’intégrer leur
dimension anthropologique et politique, en prenant en considération leur
relation à l’histoire, aux populations et aux lieux.
Une partie de cette équipe passionnée a décidé de créer le journal en
ligne L’Insatiable, qui hérite de la ligne et de l’esprit de la revue et
permet de faire vivre des débats sur les enjeux portés par l’art et la
culture dans le monde. Mais les numéros que nous avons publiés durant
plus de 20 ans sont toujours très utiles à ceux qui travaillent sur ces
sujets ou qu’ils passionnent. Ce ne sont pas seulement les témoins d’une
époque, ce sont des publications thématiques qui à chaque fois font le
tour d’un sujet du point de vue de l’action artistique.

Il nous reste une réserve d’exemplaires de chaque numéro du 1 au 106
(une dizaine sont épuisés). Nous vous proposons de vous les procurer par
groupe de 5 numéros au choix.

LE MEILLEUR DES MONDES CULTURELS

FICTION POSTMODERNE

Par Valérie de Saint-Do

Malgré l’heure matinale, chacun avait brillé par sa ponctualité ; la réunion de l’Agence centrale de l’intelligence-Créativité, économie, tourisme de la région Île-de-France allait pouvoir débuter.
David Lydeker, directeur exécutif de l’Agence, jeta un regard circulaire sur l’assemblée. Comme l’avait voulu le gouvernement, l’agence régionale, substituée à la défunte Drac selon les directives du programme « Martel en tête » pour l’ajustement structurel des effectifs du ministère de la Culture, était représentative de la société civile. La Chambre régionale des forces vives de la nation avait délégué les trois conseillers du team managérial : Kevin Tronchet (directeur des ressources humaines), Steven Binet (chief executive en développement local accéléré) et Georges W. Hamadi (designer en attractivité des territoires, intégré au titre de la diversité culturelle, même s’il avait francisé son prénom). Ils côtoyaient à l’Agence le team « échantillon social représentatif » : une ménagère de moins 50 ans, Lolita Carré, deux retraitées bénévoles du Programme basique d’éducation artistique, Suzanne Dolto et Jennifer Fontenay, et une déléguée de la Direction de la compassion envers les plus pauvres (DCEPP), Blandine Saint-Sulpice, pour le secteur social.
En ce qui concernait le team créatif, le choix s’était avéré plus délicat. Après plusieurs tours de table entre les élus et les managers, le choix s’était arrêté sur Blanche Hermine, curator général du Centre d’art et de publicité, Anna Ouiton, créatrice de Théâtre entrepreneurial, et Jacques Guésala, concept executive de la société d’économie mixte « Le patrimoine, c’est l’avenir ».
Ils avaient du pain sur la planche, comme en témoignait la hauteur de la pile de dossiers affleurant presque le niveau de la calvitie du directeur exécutif. Un examen attentif révélait toutefois un effet d’illusion. L’altitude de paperasses devait plus à l’épaisseur de chaque dossier qu’à leur nombre. Le concept de tri sélectif appliqué à l’ensemble des projets culturels s’était révélé redoutablement efficace ; l’obligation afférente de soumettre chaque projet au contrôle strict d’un cabinet d’audit – chargé d’en vérifier la viabilité économique, l’impact médiatique, les retombées touristiques et la valeur ajoutée buzz – opérait une sélection darwinienne, éliminant les parasites budgétivores relatifs aux projets dont le brouillon se maquillait sous le concept d’« artistique ». La génération émergente des jeunes « précaires et créatifs » alliait des concepts novateurs à un fort réalisme économique, fossilisant les saltimbanques du passé, ces dinosaures qui prétendaient partager la culture avec le peuple sans cibles socioprofessionnelles et confondaient Youtube avec un groupe de rock irlandais. On les renvoyait fissa aux maisons de retraite, que leurs cotisations d’intermittents ne leur permettaient d’ailleurs pas de s’offrir.

« ILS EN ONT PARLÉ… »

Élections présidentielles françaises 2007

Si nous disséquons les programmes culturels des candidats à l’élection présidentielle, ce n’est pas uniquement pour illustrer notre titre, « Je hais les marionnettes ! » L’Appel lancé par Cassandre s’inquiétait, dès fin octobre 2006, de l’absence d’un véritable débat public sur la place de l’art et de la culture dans le cadre de la campagne électorale française. Faut-il nous flatter d’avoir été entendus (avec d’autres, dont Pascale Ferran en particulier) ? Mi-mars – à défaut de programmes solides et d’une réflexion approfondie -, des prises de position ont commencé à émerger sur le sujet. Certains candidats ont enfin prononcé le mot tabou. Il serait illusoire d’accorder un grand crédit aux promesses préélectorales, mais il est néanmoins important que cette question résonne dans l’espace médiatique et soit présente dans les conversations qui nourrissent nos réflexions collectives. C’est pourquoi nous avons exceptionnellement décidé de substituer à la parole du « grand témoin » qui ouvre habituellement la revue une tentative de décryptage – non exhaustif – sur ce thème.}} }

Précautions oratoires

À l’heure précise où s’écrivait cet article (J -39 du premier tour de l’élection présidentielle), les parrainages des candidatures n’étaient pas totalement clos. Et après un long silence, les candidats dit « grands » commençaient tout juste à s’exprimer sur la culture.
Il faut dire que les médias audiovisuels n’avaient jusque-là pas cru nécessaire de les interroger sur un sujet réputé peu porteur. Aux diverses rencontres organisées par des artistes et acteurs culturels,
par exemple au Théâtre de l’Est Parissien ou au Théâtre de la Commune, les candidats avaient choisi de déléguer des représentants supposés spécialistes de la question – et rarement vraiment convaincants, à l’exception notable de Marie-George Buffet, efficacement cornaquée par le Collectif
culture du PC, et de Dominique Voynet, qui bénéficie d’une conseillère éclairée en la personne de Marie-Christine Blandin.
Quant au Front national, chacun sait que les attaques populistes contre les formes contemporaines, qui ne sont pas sans rappeler la stigmatisation de « l’art dégénéré » de sinistre mémoire, font partie
de son fonds de commerce.
Les autres candidats se sont réveillés peu à peu. François Bayrou
a dégainé le premier au Sénat ; Ségolène Royal s’est exprimée au gymnase Japy le 12 mars, face à un auditoire d’artistes et d’intellectuels engagés à la soutenir, et a annoncé la divulgation de son projet culturel le 26 mars à Nantes (non sans en avoir livré les grands axes aux Inrockuptibles). Le 13 mars à Besançon, Nicolas Sarkozy se coulait dans le rôle d’avocat passionné (auquel il tentait de donner une tonalité « malrucienne ») de la transmission des « grandes » œuvres.
Face à ces expressions, pour la plupart très tardives à nos yeux, il
a fallu pêcher des informations dans les programmes des partis, où
le « volet culture », lorsqu’il existe, est d’une maigreur inquiétante.
Plusieurs de nos confrères – Télérama, La Croix, Le Monde – ont tenté de sonder les candidats sur ce sujet. Mais leur spectre très large d’interrogations – qui s’attachent surtout à ce qui est immédiatement perceptible et qui embrassent l’audiovisuel, les industries culturelles
et la question du numérique – laisse dangereusement sans réponse
des questions essentielles.
Ces questions qui, depuis ses débuts, préoccuppent Cassandre, nos lecteurs les connaissent bien :

  • le maintien et le renforcement du service public de la Culture construit en France après la Seconde Guerre mondiale.
  • le combat pour une action artistique qui transcende les clivages entre les amiraux « créateurs » et les humbles soutiers de « l’action culturelle ».
  • la prise en compte des expressions artistiques nées dans ce que l’on appelle communément les « marges ».
    Questions qui peuvent être résumées par la belle formule d’Hannah Arendt, plus tard reprise par Jacques Rancière : le partage du sensible.
    Cet article ne vise pas une comparaison exhaustive des programmes : il braque le projecteur sur ce qui nous semble fondamental.

Ils en parlent, mais comment ?

Au fond, l’informulé, voire l’impensé des questions sur la culture, réside en cette simple question : « Considérez-vous fondamental que
la France continue à apporter un soutien public à la culture,
à la création et à la circulation de l’art, comme elle l’a fait ces
cinquante dernières années ? » Et, bien évidemment, car il ne s’agit pas uniquement ici de préserver des acquis : « Souhaitez-vous que notre pays actualise et accroisse l’action de ce service public, de façon à
ce qu’il puisse devenir un exemple pour d’autres ? »
Questions dont le corollaire, malgré les modifications de fonctionnement imposées par l’actuelle décentralisation, reste évidemment
le devenir du ministère de la Culture, la définition de ses objectifs, de ses modes de décision et de ses moyens.
Il serait naïf d’imaginer que la réponse va de soi. Comme dans beaucoup d’autres domaines, la remise en question de l’existence même
de ce ministère n’est plus aujourd’hui un sujet tabou. Le Pen annonce clairement son intention de le rebaptiser « ministère des Beaux-Arts », régressant à l’ère pré-Malraux.
Déplorant la fracture entre Culture et Éducation nationale, la convention UMP sur la Culture annonçait clairement sa volonté de les réunir dans un seul ministère. Proposition à laquelle, selon le député Dominique Paillé, envoyé en pompier dans le débat au Théâtre de l’Est parisien, le ministre-candidat aurait finalement renoncé, face à l’inquiétude exprimée par la profession.
Qu’en serait-il dans un gouvernement réduit à quinze ministères ?
On peut aussi s’inquiéter de l’audience dangereusement complaisante dont bénéficie Frédéric Martel (auteur du très « tendance »
De la culture en Amérique) dans les rangs socialistes. Dans Libération, il vitupère la centralisation, le rôle de l’État central et déconcentré, prône la supression des Drac et la substitution « de la défiscalisation à la subvention ».
Il suffit pourtant de se pencher sérieusement sur la question pour le constater : la carrière mondiale des plus grands parmi les artistes nord-américains du théâtre et de la danse de ces deux dernières décennies a largement été soutenue par des subventions européennes, notamment françaises…
Faut-il être rassuré à la lecture des professions de foi des uns et des autres ? Chacun y défend des positions de principe et se fait une gloire de placer la culture « au cœur de son projet ». La gauche ne peut pas se penser sans la culture, « ne doit cesser de parler culture, de penser la culture, de vouloir la culture », affirme Ségolène Royal, tandis que le programme affiché par Dominique Voynet veut « reconnaître l’empreinte culturelle de toutes les politiques publiques ». Mais de quelle culture est-il ici question ? De celle qui souhaite « équilibrer
le capitalisme » et faire que « la France soit de nouveau une terre qui brille » ou celle qui se veut « une dimension essentielle
de l’épanouissement des êtres humains, du côté de l’être et non de l’avoir » ? La culture conçue comme une forteresse contre les influences étrangères, ou celle qui penche du côté de la pensée du grand Édouard Glissant : « En échangeant avec l’autre, je peux me changer sans me perdre ni me dénaturer pour autant » ?

La tyrannie du prétendu « réalisme » économique

Au-delà des déclarations quasi-unanimes sur le refus de laisser l’art et la culture en pâture au marché, quels sont les dispositifs réels de soutien à la création et d’accès aux outils de la création qui peuvent contrecarrer l’hégémonie marchande ? Et selon quels critères ces soutiens sont-ils affectés ?
Cassandre l’a toujours affirmé et répété : jamais les moyens budgétaires ne suffisent à eux seuls à caractériser une volonté politique. Mais, inversement, on ne peut non plus se contenter de se payer
de mots et de grandes déclarations sans examiner les moyens réels
que les uns et les autres promettent de consacrer à leur politique
culturelle.
En 2007, l’aune du 1 % du budget de l’État – si souvent grignoté – n’est plus obligatoirement une référence pertinente, sachant que le budget du ministère de la Culture est nettement inférieur à l’investissement des collectivités territoriales.
N’empêche, le symbole reste vivace.
L’UMP parle de le sanctuariser sans toucher au périmètre des activités financées, « mais en diminuant les budgets de fonctionnement de l’administration ». Ségolène Royal annonce sa volonté de revenir au plus haut étiage des gouvernements de gauche précédents… soit le fameux 1 % qui, pour Dominique Voynet, « constitue un plancher ».
De manière générale, face à aux snipers comptables des médias
toujours prêts à sortir l’arme fatale de l’endettement « insupportable » de la France, l’UMP, le PS et l’UDF se montrent extrêmement prudents.
L’époque n’est plus aux grands travaux pharaoniques d’un président monarque. Le rôle de l’État est défendu par principe, mais le constat sous-jacent et récurrent est qu’il faut « trouver des moyens ailleurs » (exception faite naturellement des candidats de la gauche antilibérale). Du côté de l’UMP, on encourage sans surprise le mécénat tous azimuts en y incluant l’épée de Damoclès, pour les institutions
culturelles, d’une obligation de résultats, et l’on joue sur les incitations fiscales, « pour aider au rayonnement des œuvres françaises à l’étranger ». Et même si elle affirme qu’il ne doit pas se substituer au rôle de l’État, Ségolène Royal déclare aussi que « le mécénat peut s’inscrire dans une démarche de solidarité et de citoyenneté et donc jouer un rôle dans les initiatives culturelles ». La vente de la « marque Louvre », par exemple, ne semble gêner ni l’UDF ni le PS.
Comme l’avait fait Jack Lang dès 1983, la candidate socialiste éprouve le besoin de justifier sa politique culturelle « en faisant de la culture le moteur du développement économique » (prenant au passage pour exemple Avignon et Lille 2004).
Elle ajoute, il est vrai, que l’on ne saurait se satisfaire de l’événementiel et affirme vouloir inscrire la culture dans le concept de développement durable décrit dans l’agenda 21. Mais l’argument utilitaire des « emplois culturels » reste porteur d’une confusion inquiétante entre ce qui relève des industries dites culturelles (qui loge dans le même sac les jeux vidéo) et ce qui tient de la circulation du symbolique dans une société. Quant à François Bayrou, il emploie le terme troublant, pour ne pas dire inquiétant, de « mécénat d’État », qui nous renvoie au caprice du Prince en faveur de quelques artistes d’excellence.
Les candidats que l’on dira « moins favorisés par les médias et les sondages » pour leur éviter l’épithète péjorative de « petits » se montrent plus volontaristes. Marie-George Buffet défend l’idée d’un budget porté à 1 % du produit intérieur brut – soit une augmentation de 35 % sur une mandature, à raison de 10 % par an. Proposition reprise par José Bové.

Des fonds publics, pour quel service public ?

En revendiquant cette augmentation de moyens, la candidate de la gauche antilibérale s’épargne des arbitrages conflictuels entre l’entretien de l’existant – et notamment d’institutions budgétivores – et le soutien à l’expérimentation. Oui à l’action artistique à La Courneuve ou en Limousin, mais sans désespérer le Quartz de Brest ou l’Opéra de Bordeaux. On perçoit bien que ces arbitrages sont gênants pour la gauche – à l’exception peut-être des Verts, qui parlent de « mutualisation des moyens » des institutions culturelles, tandis que la candidate socialiste indique prudemment qu’une amélioration du maillage passe par « une plus grande polyvalence des établissements existants »

Richesse et éclectisme de la chorégraphie flamande

Richesse et éclectisme de la chorégraphie flamande

Par Jean-Marc Lachaud

Au tout début des années 80, de jeunes artistes flamands enrichissent par leurs provocations la scène chorégraphique belge. L’intensité de leur engagement artistique retient l’attention du public et de la critique et, rapidement, une reconnaissance internationale souligne la richesse de leurs productions débridées. Depuis vingt ans, la danse flamande est devenue une référence incontournable dans le champ de la danse contemporaine.

La dénomination « danse flamande » est-elle légitime pour définir une réalité éclatée ? Pour Kurt Jooss, selon l’analyse de Laure Guilbert (1), les « courants stylistiques » de la danse ne peuvent être « enfermés dans un espace géopolitique déterminé. » D’autre part, au regard de la diversité des intentionnalités chorégraphiques développées par ces défricheurs, elle semble réductrice. Certes, comme le remarque Katia Verstockt (2), en rappelant la précarité et l’isolement dans lesquels ces chorégraphes inventèrent leurs partis-pris, leurs pièces s’imposent « loin des modes et tendances américaines, allemandes et françaises qui ont dominé les années 70 et 80. » Mais, « rien ne les lie artistiquement. »
Par tâtonnements successifs, dans la ferveur de l’expérimentation, avec la vivacité de ceux qui repoussent sans cesse les limites de leur art, chacun élabore son langage et fouille des horizons différents. Peut-être pouvons-nous considérer qu’une pratique du décloisonnement, un certain attrait pour la transdisciplinarité et pour le mélange, caractérisent leurs architectures chorégraphiques. Ainsi, si le surgissement de ces danses se manifeste au cœur d’une région qui accède à son autonomie culturelle (alors que s’accroît sa puissance économique et que se réveillent des velléités de replis communautaires face à Bruxelles et à la Wallonie), si les institutions flamandes on promu les représentants de cette génération « ambassadeurs de Flandre », il n’est pas sérieux de rassembler ces personnalités hétérogènes sous une étiquette identitaire et d’uniformiser leurs gestes artistiques singulières. Le bref panorama que nous proposons ici, le prouve.

1. Guilbert, Laure, Danser avec le IIIe Reich, Bruxelles, Ed. Complexe, 2000, p. 99.

2. Verstockt, Katia, « La vague flamande », in Danser maintenant, ouvrage collectif, Bruxelles, CFC-Editions, 1990, p. 88.