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Agir : Oui, mais comment ?

Automne 2010

GRAND TÉMOIN

  • Barbara Cassin (+ abstract)
  • Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot

CHANTIER

La culture non-alignée

  • Les champs du documentaire par Cécile Noesser
  • La deuxième moitié du chemin entretien avec Jean-Pierre Thorn
  • Le numérique, vraiment nomade ? par Valérie de Saint-Do
  • Gindou, capitale du hors-champ par Nicolas Roméas
  • Bamako-Gindou, allers-retours entretien avec Abderrahmane Sissako
  • Douarnenez, l’anti-mainstream par Valérie de Saint-Do
  • Ils disent « kenavo », mais… entretien avec Erwan Troalic et Caroline Troin
  • Plan-séquence sur un franc-tireur par Marc Tamet
  • Lilliputiens contre Gulliver, entretien avec Jean-Luc d’Asciano
  • Un espace-temps méconnu par Ludmilla Ivanova
  • publie.net, lieu d’autonomie par Laurent Grisel
  • Que valent les mots ? par Philippe Renault
  • Rhizome de réseaux par Thomas Hahn
  • Effractions par Marc Tamet
  • Brèves

Agora

  • Symptômes d’une décadence par Philippe Renault

Si loin si proche

  • Donko Seko, un foyer pour la danse contemporaine en Afrique par Myriam Blœdé
  • Le théâtre arménien à l’épreuve du futur par Irène Sadowska-Guillon

Chronique du théâtre ordinaire

  • Back to Avignon par Bruno Boussagol

Pas de côté

  • Mort aux créateurs ! entretien avec Karine Saporta

Notes en marge

  • Menaces sur le cirque Romanès par Annabelle Weber

Villes et festivals

  • Aurillac 2010. Constellation et météores par Jean-Jacques Delfour
  • Intantanés par Édith Rappoport
  • Manifestons ! par Samuel Wahl

Hôpital silence !

  • En enjambant les millénaires… par Marie Limpatiente

VISUEL

  • L’art politique selon Kentridge par Roei Amit et Myriam Blœdé

ÉCRITS

  • par Barbara Petit
  • Les 1 001 voix de Vila-Matas, entretien avec Enrique Vila-Matas
  • Petites Théories Jetables par Jacques Livchine
  • Hors sujet
  • Points de Mire

Éditorial de Nicolas Roméas

Décidément, cette revue n’a pas volé son nom… et même ses deux noms ! Au mois d’avril dernier paraissait notre numéro 81, « L’autre sans qui je meurs », presque entièrement consacré aux Rroms, à leur mode de vie et à leurs cultures. Un numéro dont nous sommes particulièrement heureux et fiers (1). Dans un monde qui se déshumanise très dangereusement, toutes les cultures qui continuent à porter des valeurs humaines collectives et profondes nous importent au plus haut point. Et il est essentiel de les faire mieux connaître.
De ce point de vue, la lucidité ne peut nous rendre très optimiste, mais il faut être combatifs.

Aujourd’hui, en France, un pouvoir impopulaire au service d’une oligarchie si bien décrite par « les Pincon-Charlot », utilise la méthode du bouc émissaire pour masquer ses difficultés et décide de chasser de notre sol des êtres sans défense et sans vraie représentation politique, dont l’arrivée chez nous date d’au moins cinq siècles, dont on vénère les formes artistiques et que par ailleurs on prétend mépriser. Des êtres dont l’existence entière est imprégnée de sens poétique, qui incarnent le goût de la liberté et du rêve, de la beauté du geste, de la musique et de la danse, de la transmission, de la gratuité des échanges. Des êtres qui incarnent des valeurs essentielles dont un système brutal et acéphale cherche par tous les moyens à nous priver.
Ces valeurs qui sont la condition de notre survie en tant qu’humains.

Ces êtres, on les déplace comme des pions, sans le moindre respect, sur l’échiquier froid d’intérêts politiques à courte-vue. Comme on le faisait déjà avec les immigrés, on fait du chiffre et du spectacle en les jetant d’un pays où ils sont maltraités à un autre où ils sont pourchassés. On sépare les mères des enfants, on détruit leurs caravanes et leurs biens. On traumatise.
Pour un dérisoire bénéfice électoral du côté de l’extrême-droite, on brise des existences. Et quand la « patrie des droits de l’Homme » piétine les principes qui la fondent, l’Europe, qui se prétend gardienne de nos valeurs fondamentales, réagit bien mollement au regard des enjeux.
Une marche de plus, descendue sur l’échelle de la déchéance. Où s’arrêtera cette descente ? Cette chute ?
Honte à nous, qui sommes impuissants à enrayer ce scandale.

Delia, Alexandre, leur famille et celle de leur cœur, nos chers amis du cirque Romanès, sont brutalement interdits de pratiquer leur art et menacés d’expulsion du territoire français.

Je ne vous apprends rien, tout ceci s’inscrit dans un contexte détestable.

D’une obsession pathologique de la « sécurité » qui s’appuie sur la vidéosurveillance, jusqu’aux effets pervers de la généralisation du numérique pour le cinéma, tout ce qui peut favoriser la diversité des échanges est attaqué de toute part, sous l’effet conjugué d’un usage non régulé des avancées technologiques et de la destructrice obligation de rentabilité imposée par l’Europe.

On ne sait pas, au train où vont les choses (et si on les laisse aller ce train d’enfer), ce qu’il va bientôt nous rester du système de solidarité et de démocratie que nous avons hérité du beau Programme du Conseil National de la Résistance, rédigé en 1944. Et de façon générale, de nos services publics. De la recherche à la médecine – et notamment le soin psychique – en passant par l’Éducation (et ces « humanités » dont parle Barbara Cassin), aucun outil d’échange, de connaissance et de transmission n’est épargné par les ultralibéraux.

Alors, les uns et les autres, chacun à sa place, nous cherchons des moyens d’agir. Malgré tout. Car nous en avons le devoir. Car nous avons conscience que la responsabilité que porte chacun de nous concerne l’avenir de notre civilisation. Et nous ne pouvons donc nous taire. Mais peut-être en serons-nous bientôt réduits, comme l’envisage Philippe Renault (excellent dans ce numéro dans le rôle de Cassandre !) à conserver la flamme de l’art, de la culture, de l’univers de la pensée et du symbole, dans des grottes et des cryptes souterraines, à l’instar des premiers Chrétiens, sans entrevoir nulle rémission ni lumière au loin…

Mais voilà, nous n’avons pas le choix. Chacun doit faire son travail du mieux possible et redoubler d’énergie. Alors, il est important de savoir où peuvent se vivre résistances et inventions, dans l’édition, dans le cinéma, dans toutes les pratiques de l’art, de la culture, et comme l’évoquait Gilles Deleuze, dans la création de nouveau « rhyzomes » qui déjouent la mainmise des puissants. Des résistances qui passent de plus en plus par internet, mais qui nécessitent aussi de se rencontrer en chair et en os, en paroles vives, pour transmettre, et pour ressentir que nous sommes nombreux à partager les valeurs de l’esprit. À accorder une immense importance au trésor immatériel de l’art et de la pensée qui seul peut nous tenir éloigné de la barbarie.