Archives de catégorie : extrait 59

« De quelques pensées… »

Automne 2004

>>SOMMAIRE « CASSANDRE »  : De quelques idées…

  • LIBRES ÉCHANGES
    > Michel Foucault, choses vues, choses dites/ Entretien avec le metteur en scène Jean Jourdheuil – Dans le sens de l’humain/ Entretien avec l’auteur Daniel Keene.
  • HORS CHAMP
    > Vivre avec…/Thomas Hahn.
  • VU DE FACE
    > L’Amérique, suite belgradoise/entretien avec Biljana Sirbljanovic.
  • SI LOIN SI PROCHE
    > Séoul-Aurillac par TGV/entretien avec Hwawon Lee – SOS théâtre public/entretien avec Juan Vicente Martinez Luciano.
  • AGORA
    > Architecture musicale et composition urbaine/Serge Chaumier.
  • VILLES ET THÉÂTRES
    >Le Grabuge, terre d’échanges/Entretien avec Géraldine Bénichou (Théâtre du Grabuge).
  • PAR LES VILLAGES
    > L’art en campagne/Valérie de Saint-Do.
  • CHRONIQUE DU THÉÂTRE ORDINAIRE/par Bruno Boussagol.
  • PAS DE CÔTÉ
    >Heil Tanz !/Myriam Blœdé.
  • HORS SUJET
  • POINTS DE MIRE/ANNONCES
  • ÉCRITS
    >Valeska, la sorcière mal-aimée/Myriam Blœdé – Daewoo fin et suites/Laurent Grisel –Élégance rare/Nicolas Roméas – RIF hi-fi hard rock/Stéphane Ripoche.
  • PETITES THÉORIES JETABLES/par Jacques Livchine.

>> SOMMAIRE « HORSCHAMP » : « Vous n’entrez pas dans les cases »

> « Une crise grave »/Thomas Hahn – Trop de politique au théâtre ?/ Entretien avec Christophe Adriani, Laurent et Jean-Louis Sagot-Duvauroux.(À propos de la salle Jean-Vilar de Bonneuil)/par Nicolas Roméas : – Intermittents, suite…/entretien avec Jérôme Tisserand et Pierre Jourdain > I want a gun !/Thomas Hahn – Soixante ans d’histoire non autorisée en trois heures/ Entretien avec Franck Lepage (Avatars de l’éducation populaire en France) Toléré du bout des clefs/Valérie de Saint-Do (Art en milieu carcéral)- Squat et institutions : liaisons dangereuses/M. Chenu, Stéphanie Philippoteau et Céline Coyac – Squats d’utilité publique/François Deck – 1%, est-ce encore trop ? (le un pour cent culturel vu du Québec)/Louis-Marie Catta.

  • BRÈVES INQUIÉTUDES

Michel Foucault – Choses vues, choses dites. Entretien avec Jean Jourdheuil

Michel Foucault – Choses vues, choses dites

Entretien avec Jean Jourdheuil

Propos recueillis par Nicolas Roméas et Alexandre Wong

Jean Jourdheuil a connu Michel Foucault lors de sa collaboration au scénario du film de René Allio Moi, Pierre Rivière… Metteur en scène de grand talent comme on le sait et traducteur de Heiner Müller en France, il monte au théâtre de la Bastille – dans le cadre du Festival d’automne – un intéressant spectacle sur ce penseur majeur. Intéressant, pour nous, surtout en ce qu’il pousse au débat. Interrogations sur le devenir de la pensée du cher disparu, entre histoire et engagement. Comme vous le constaterez, Jourdheuil est un brillant rhéteur, et lorsqu’on polémique avec lui sur le moment scénique, il n’a de cesse de nous entraîner – avec une subtile habileté – vers ses chères terres philosophiques.

Cassandre : Il y a une phrase dans la plaquette de présentation de votre travail sur Foucault qui est une manière de se positionner de façon très aiguë et essentielle dans le débat et dans ce paysage dévasté de la vie culturelle française, comme si votre travail était quelque chose comme « la dernière station avant le désert »… Je me suis dit c’est culotté et en même temps juste… Mais je ne suis pas certain qu’il n’y ait pas aujourd’hui un autre type de théâtre à inventer. Le vôtre pencherait-il du côté d’un travail qui appartient à un passé sacré ? Serait-il le dernier représentant de valeurs fondamentales qui sont amenées à ne plus pouvoir être portées au théâtre ?

Jean Jourdheuil : Je préférerais que cela représente des valeurs fondamentales qui vont être soumises à de très sérieuses turbulences. J’ai expliqué que ce spectacle s’est fait à la suite d’une proposition du Festival d’automne, et que dans quelques années ça ne pourra plus se faire. Un travail sur Foucault n’aurait pas été produit par l’énergie propre d’un théâtre. C’est vraiment passé par le Festival d’automne. Ce projet du festival m’a semblé paradoxal, imprévu, improbable. D’autant que Foucault est ostracisé
dans le milieu universitaire français. Nous sommes sur une pente de restauration, d’établissement d’une société de plus en plus libérale,
où les analyses de Foucault trouvent de moins
en moins leur place. Pour l’Université française, Foucault ne représente pas grand-chose, alors qu’à l’étranger, c’est différent. En Amérique latine, il représente l’alternative, ou le prolongement, du marxisme des années soixante-dix. Aux USA, il est présent dans les études des relations entre les sexes. En France : silence.
Il y a ici un paradoxe ; le fait que Foucault
soit au Festival d’automne dissimule l’hostilité foncière de l’Université à son égard.

Cassandre : Est-ce le cas pour Deleuze et d’autres ?

Jean Jourdheuil : Oui, mais Deleuze est plus franchement philosophe. Foucault, lui, n’est ni vraiment philosophe ni vraiment historien.

Cassandre : Mais ces figures, noyaux durs de la pensée d’une époque et d’un certain mouvement de la société se réfléchissant, peuvent aujourd’hui servir à d’autres pour construire autre chose dans une période de libéralisme exponentiel. Je connais des gens pour qui Deleuze et Foucault sont des outils extrêmement précieux de reconstruction.

Jean Jourdheuil : C’est le cas pour les gens qui travaillent dans les prisons, ils lisent Foucault. Il y a des gens qui n’appartiennent pas à l’intelligentsia de l’Université, des intellectuels qui agissent dans la société pour qui Foucault est vital. Mais il y a une coupure entre l’intelligentsia officielle et ces gens. C’est important que les œuvres de Foucault et de Deleuze demeurent actives, soit prolongées dans l’Université, ne serait-ce que parce que ça ouvre des espaces.

« Soixante ans d’histoire non autorisée en trois heures » : Entretien avec Franck Lepage

Dans le « off » d’Avignon, un bouche à oreille discret et enthousiaste invitait à la découverte d’un ovni au théâtre des Carmes : Les Petits Contes politiques et autres récits non autorisés, de Franck Lepage.

Inculture no 7 : « l’éducation populaire, monsieur, ils n’en ont pas voulu ! », Inculture no 8 : « Et si on empêchait les riches de s’instruire plus vite que les pauvres ? » et Inculture no 9 : « Que dites-vous après avoir dit bonjour ? » ou, en trois épisodes, une autre histoire de la culture, une autre histoire de l’éducation, une autre histoire du langage. Le nom de ce metteur en scène vous était inconnu ? (Non, rien à voir avec Robert !) Rien d’étonnant, puisqu’il revient au théâtre après une éclipse de quinze ans. Absence qui l’a vu très actif dans l’éducation populaire ; chargé de la culture à la FFMJC, il n’a pas hésité à secouer violemment institutions et fédérations pour leur rappeler leurs missions fondatrices.
Mais on ne réveille pas impunément les chats ronronnants : renvoyé à la culture de son jardin, Franck Lepage a renoué avec ses premières amours, pour la plus grande joie de ceux qui auront assisté à ces règlements de comptes hilarants avec des institutions sclérosées. Il resitue pour Cassandre/Horschamp le contexte historique et personnel de cette expérience théâtrale.

Animation/théâtre, aller-retour

En 1978, je préparais une licence d’animation socio-culturelle à Vincennes. Dans le chaudron vincennois, nous préparions expressément la révolution : notre brochure présentait un monde étudiant en lutte contre les institutions. Je travaillais alors avec des gens comme Augusto Boal, avec qui nous pratiquions le « théâtre-forum », et avec une brochette de « grotowskiens » patentés. À partir de 1980-1981, l’animation socio-culturelle commençait à apparaître comme « ringarde ». Nous étions atteints du « syndrome » Jérôme Deschamps, avec son spectacle La Veillée. Certains considéraient encore l’animation comme une méthode permettant aux gens de s’exprimer, de se désaliéner…
Et, brutalement, l’idéologie a basculé : nous avons tous été convaincus qu’il ne s’agissait, en fait, que d’une vaste fumisterie. Soudain, la nouvelle idéologie était au tout culturel. Je cherchais une parole qui me soit propre et, comme la vraie réponse semblait être dans le théâtre, j’ai déchiré symboliquement mon diplôme d’animateur et je me suis réinscrit en 1re année de théâtre à Vincennes. Puis, comme on sait, la faculté de Vincennes a été évacuée à grands renforts de CRS. Cette université faisait peur au pouvoir. Elle a été transplantée à Paris-VIII, à Saint-Denis. J’ai poursuivi jusqu’au DEA. Puis de 1981 à 1984, je suis devenu metteur en scène de théâtre. Puis j’ai tenté le concours des MJC, dans le but de récupérer un équipement culturel. L’éducation populaire m’était indifférente, je ne connaissais même pas le terme, mais pendant deux
ans j’ai travaillé sur le bicentenaire de la Révolution française : j’ai rencontré des historiens, des hommes politiques… Je me suis construit une culture que je n’avais pas, autour des enjeux politiques sur la citoyenneté, la démocratie… Je n’ai pas été nommé à la tête d’une MJC : je me suis retrouvé chargé de la culture à la Fédération française des MJC à Paris. Moi qui désirais un équipement pour y faire du théâtre, je n’en ai plus fait pendant quinze ans.

Qu’est-ce que c’est, l’Éducation populaire ?

Les cinq premières années, j’ai été le « porteur de valises » des MJC. J’essayais de les « vendre » auprès du deuxième ministère Lang. Sans le moindre succès. En 1986, dans le « système culturel », tout le monde voulait être metteur en scène, tout en gagnant sa vie comme un médecin ou un cadre. On me faisait comprendre que je n’étais qu’un pauvre socio-cul et on me conseillait de m’adresser à Jeunesse et Sports. Mais Jeunesse et Sports ne s’occupait pas de culture : il y a un ministère pour ça. Je portais la question culturelle naïvement, j’essayais de valoriser ce qui se faisait en matière d’art plastique, de danse, de musique… Il me fallait résoudre une contradiction.
Lorsque j’interrogeais mes collègues sur leur action en matière de culture, ils répondaient : « Nous, ce n’est pas de la Culture avec un grand C, c’est de l’éducation populaire. » C’est-à-dire, concrètement ? « Ben, il y a
des gens, des cours, des spectacles… Ce n’est pas du tout pareil que la culture, c’est de l’éducation populaire. » Je constatais une certaine incapacité à définir l’éducation populaire. Il fallait tenter de théoriser cette question.
Lorsque Jack Lang lance les cafés-musiques, je demande si on pouvait obtenir ce label pour une quarantaine de MJC… On me répond : « Pas du tout, c’est quelque chose de tout à fait nouveau, c’est de la musique, des jeunes, de la convivialité. » Je réponds : « Il y a des MJC qui font du rock dans de vraies salles et de vraies conditions. » On me répond que cela n’a rien à voir, mais on ne me fournit aucune explication satisfaisante.

Luc Carton, auteur de psychodrame

Je me suis un peu énervé sur cette question de la coupure entre « culturel » et « socio-culturel ». Et c’est alors que je suis tombé sur le texte d’un Belge, Luc Carton, qui déclarait dans l’une de ses interventions : « En France, vous parlez d’éducation populaire, mais vous n’en avez pas. En Belgique, l’éducation populaire, c’est la lutte des femmes, la lutte des chômeurs, Droits devant, AC !, et la culture, ça comprend les luttes d’émancipation… En France, au contraire, c’est un travail d’animation socio-culturelle, de pacification, qui sa pertinence, mais ne produit aucun effet en termes de démocratie, de citoyenneté, de mouvement social… Si vous voulez faire de l’éducation populaire, faites-en, et arrêtez de dire que vous en faites. »
Le texte est violent, mais me donne enfin une clef de compréhension. Je l’appelle et je lui demande : « Auriez-vous le courage de venir vous enfermer avec trente directeurs de MJC qui prétendent faire de l’éducation populaire, de leur raconter cela et de voir ce qui se passe ? » À l’époque, j’étais excédé par ces colloques où un intervenant s’exprime sur un sujet intéressant pendant vingt minutes sans que rien ne se passe ensuite. Carton accepte, et je lance une invitation : « Trois jours avec Luc Carton. » Des travailleurs « sociaux », qui ne lisent pas, qui crachent sur les intellectuels et se prétendent des gens de terrain, prennent un intellectuel et le décortiquent pendant trois jours. Ce séminaire s’est conclu en véritable psychodrame : des gens pleuraient, d’autres s’insultaient, certains vomissaient. Mais ils ont fini par accoucher d’un aveu collectif d’impuissance. « J’ai fait mon boulot, dit Luc Carton, vous ne faites pas d’éducation populaire, salut, au revoir ! » On le retient : « Ça fait vingt ans qu’on le sait et c’est ce qui nous tue. Si nous acceptons de le reconnaître, vous ne pouvez pas nous laisser comme ça. »

THÉÂTRE DE BONNEUIL : TROP DE POLITIQUE AU THÉÂTRE ?

Propos recueillis par Nicolas Roméas et Valérie de Saint-Do

 Il n’y aura pas de saison cette année à la « salle Gérard-Philipe » de Bonneuil. Sous des prétextes administratifs – le passage du statut associatif à la gestion directe par la ville -, c’est l’ensemble du projet artistique et humain de ce théâtre de ville, dirigé par Christophe Adriani, qui est remis en cause. Projet qui sans doute avait le tort, aux yeux des autorités municipales, de mêler étroitement le politique à l’artistique et d’associer des populations habituellement étrangères au théâtre. Les arguments gestionnaires ne seraient-ils que l’écran d’une vision conformiste de la politique culturelle et d’une frilosité face à la volonté d’expérimenter, dans le climat populiste ambiant ? Frilosité et conformisme dont aucun parti politique n’a le monopole puisque les péripéties du théâtre de Bonneuil l’opposent à une municipalité communiste.

Christophe Adriani, Jean-Louis Sagot-Duvauroux, auteur associé au théâtre Gérard-Philipe, et Laurent Klajnbaum, conseiller municipal, analysent l’action passée et le sens des blocages actuels.

Cassandre : Très généralement, un travail sérieux et attentif a tendance à passer au travers des mailles du filet institutionnel. La décentralisation telle qu’elle est en train de se développer risque d’aggraver les choses en augmentant le pouvoir de responsables très liés à des intérêts locaux. J’aimerais que l’on soit capable de dire : « là, il y a un travail sérieux, attentif, précis, qui mérite qu’on s’y attarde et qu’on le soutienne ». Mais certains ne prennent pas ces critères en considération.

Christophe Adriani : Avant d’être une expérience originale, Bonneuil est un théâtre de ville : la conjonction d’une
mission de service public et d’une volonté politique. Dans une ville de 16 000 habitants, dont la population vit à 70 % dans des logements sociaux, il aurait pu ne pas y avoir de théâtre. Une volonté politique s’est exprimée, héritière de l’histoire de la décentralisation, du théâtre populaire… C’est présent dans l’inconscient de beaucoup. Une bienveillance s’installe, qui fait que l’on peut mener des expériences, presque « accidentellement ». Aujourd’hui, le dialogue est arrêté. Je conserve l’envie de débloquer la situation au travers de vraies tentatives d’explication. Je n’ai pas vocation à être victime. Je la vis comme quelqu’un n’ayant pas réussi à éviter cet accident. Comment se fait-il que des élus n’aient pas perçu qu’il se passait quelque chose qui n’était pas hostile à ce qu’ils disaient vouloir faire, et pouvait ouvrir des perspectives ? Pourquoi cela a-t-il penché dans le sens du populisme, de l’Audimat, etc. ? Ce n’est pas exprimé clairement, il n’y a d’ailleurs plus de commande du politique. Mais il y a des faits, successifs, une volonté de mettre la structure sous tutelle administrative, un assèchement des finances. Une opacité du circuit de décision qui rend les choses extrêmement complexes. Mais le résultat est là : il n’y a plus d’argent pour démarrer une saison. Pas de moyens pour en annoncer une. On pourrait se dire que nous ne sommes pas obligés de programmer des « saisons », mais il n’y a même plus
la possibilité de faire des projets.

Cassandre : Quelles sont les actions particulières que vous avez initiées ?

C. A. : Ce théâtre existe depuis une quinzaine d’années. Pendant dix ans, il a été dirigé par Monica Guilouet-Gélys, qui est maintenant au théâtre d’Auxerre. Elle a mené une politique comparable à celle d’autres théâtres de ville aux ambitions artistiques affichées : compagnies en résidences, projets d’actions culturelles, programmation jeune public, ateliers… Je me suis inscrit en bonne partie dans cette continuité, en essayant de fouiller ce que peut signifier la présence d’un lieu
de création dans cette ville avec cette population particulière et en lien avec des enjeux actuels. Nous avons travaillé les contenus de la programmation et des partenariats à partir de plusieurs axes. Notre filiation culturelle n’est pas uniquement européenne ; il y a des publics migrants dans la ville. Nous avons voulu initier des projets qui associaient une partie de la population, favorisaient leur présence sur scène, un travail d’écriture… Nous avons surtout associé des artistes engagés dans cette démarche démocratique : d’abord la compagnie Carcara
qui porte une vraie réflexion sur l’articulation entre le théâtre contemporain, l’écriture avec les habitants et leur mise en mouvement puis, plus récemment, avec Jean-Louis Sagot-Duvauroux, en raison de son parcours malien. Enfin, nous avons imaginé ensemble des événements qui dépassent le simple spectacle afin de briser le rapport consumériste. Les blocages qui font que la politique d’élargissement des publics est en panne sont liés à la façon dont on va au théâtre, et dont on le présente comme objet de consommation. On ne peut pas progresser dans la démocratisation culturelle sans remettre en cause ce que fait notre profession. On ne peut proposer des spectacles comme des
marchandises au supermarché. Nous sommes entré dans une résistance face aux modèles dominants pour débloquer les situations.

Cassandre : Est-ce que la stratégie la plus payante, par rapport à cet obstacle, ce n’est pas d’utiliser ce qui fonctionne dans l’esprit des décideurs, le phénomène médiatique, pour faire passer autre chose ?

C. A. : Il n’y a pas de raison de se priver
du succès d’un Fellag, ou d’Enrico Macias lorsqu’il rend hommage à la musique arabo-andalouse : ce parcours d’une « star » a du sens par rapport à la population et au projet. Mais ce n’est pas seulement une « stratégie des locomotives ». Si cette petite ruse crée de l’abonnement, elle déséquilibre le sens du programme : on fait passer trois projets qui nous tiennent à cœur dans l’année et du « spectacle » le reste du temps. Cependant cela fait partie de mes interrogations : si j’avais été plus tacticien, je ne serais pas dans une telle situation et le projet aurait peut-être été préservé. Je me suis inscrit dans une stratégie de conviction essayant de dire ce que j’allais faire et pourquoi j’allais le faire.

EDITO(S)

ÉDITO (extrait), par Nicolas Roméas

[…] Non, nous ne nous lasserons pas de le dire, il n’y a pas d’alternatives. Sans volonté politique aux plus hauts niveaux, sans désir vrai de prendre la culture et l’art enfin vraiment au sérieux, sans regard informé et documenté sur la place occupée dans l’histoire des hommes par cet outil, nous n’avancerons que millimètre après millimètre. Et – comme on le voit avec les propos abjects d’un fameux patron de chaîne qui s’insulte lui-même (on n’a plus besoin de le faire) – pour mieux reculer. Certains artistes ne désarment pas, avec ou sans moyens, reconnus ou non, ils s’obstinent à fabriquer un art à la fois exigeant et ouvert. Et, comme par hasard, ceux qui sont les plus courageux, les plus tenaces, sont souvent aussi les plus talentueux. C’est le cas de William Petit, qui, avec la compagnie Rialto, vient de nous offrir un moment artistique d’une rare qualité artistique et humaine au couvent des Récollets. Mais il y en a d’autres, beaucoup d’autres aujourd’hui, qui sont en butte, un peu partout en France, à l’incompréhension de tutelles – dites de « gauche » ou de « droite » -, qui ne prennent toujours pas le temps de réfléchir à l’importance du geste artistique pour une civilisation. Pour notre civilisation en péril.

HORSCHAMP : « Vous n’entrez pas dans les cases »

LE TEMPS DES INSOUMIS / par Valérie de Saint-Do

Des artistes et des compagnies en conflit avec leurs tutelles financières, municipales ou ministérielles ? Rien de plus classique, et nos colonnes s’en font régulièrement l’écho. Mais le symptôme prend des proportions épidémiques. Partout, l’étau se resserre. Les zones d’« autonomie » se restreignent. Certains se sont bercés de l’illusion qu’après la tourmente de 2003, la vie culturelle pourrait reprendre un cours tranquille. Comme si la glace n’était fissurée de toutes parts. Des squats fermés à Paris, une équipe soucieuse d’inventer d’autres modes de relations à la ville sur la sellette à Bonneuil-sur-Marne, des artistes intervenants en détention interdits d’atelier…Cerise sur le gâteau, un rapport qui exclut l’action culturelle du champ de l’intermittence au motif « qu’elle est davantage un concept à l’acception large qu’un domaine représentatif d’activités économiques homogènes » (1). Pourtant, la culture est partout, semble-t-il. Ou du moins son ersatz,lisse, brillant, consensuel : l’événementiel, qui attire les foules à grand renfort de tapage médiatique, et de noms encensés par la critique officielle. Comment exister quand on refuse de se soumettre aux impératifs de la com’ et d’être réduit à un supplément d’image pour une ville ou une région ? Les artistes que nous avons rencontrés pour ce chantier sont de ceux qui refusent d’abdiquer. Au prix de stratégies difficiles : contourner l’obstacle, ou l’affronter, pour que continuent à exister et se développent des actions artistiques en profondeur et dans la durée ?

(1). Il s’agit du rapport d’étape de Jacques Charpillon, chef de service de l’inspection générale de l’administration des affaires culturelles. On peut le télécharger à l’adresse : http://cip-idf.org/article.php3?id-article-1675.