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Rencontres : Acte 1 et 2

Avril 1999

  • FIL D’ARIANE

>> Spécial Rencontres 1
Première partie des actes des Rencontres nationales en Ile-de-France – La place des arts et de la culture dans le monde social – (L’interface) – Acteurs culturels et artistiques.

  • PARTIS PRIS
    Questions de lieu, questions de jeu
  • LIBRES ÉCHANGES
    > Penser politiquement
  • HORS CHAMP
    > La librairie Bonaparte en danger
  • PAS DE CÔTÉ
    > Petites pièces tranchantes
  • POINTS DE MIRE
  • AGIT-PROP
    > Mouvements.

> Appel > L’art principe actif.

Actes des rencontres nationales en Ile-de-France. M-P Bouchaudy.

M-P Bouchaudy : C’est une alliance qui peut paraître curieuse, et c’est ce qui est intéressant. Pour beaucoup, aujourd’hui, une revue qui s’occupe d’art et de théâtre et une fédération d’éducation populaire, ça ne va pas très bien ensemble. Depuis un certain nombre d’années, la rupture a été telle dans l’opinion et surtout dans le milieu culturel, entre les artistes et les professionnels de la culture (à qui on avait d’une certaine manière légué ces questions-là comme si ça ne pouvait pas intéresser d’autres parties de la société), et une fédération d’éducation populaire qui était reléguée du côté du socioculturel, cette rupture nous paraît aujourd’hui ne pas avoir beaucoup de sens. Pour une fédération d’éducation populaire, la question de l’art et de la société est fondamentale, elle est quasiment même à l’origine de la création de ces fédérations, puisque leur but et leur vocation initiale était de former des citoyens et ça reste on ne peut plus d’actualité aujourd’hui.

Pourquoi ces Rencontres ? Pour essayer de renverser les questions et de sortir des clichés qui, ces dernières années, enferment les gens dans des cases, essayer de sortir des corporatismes pour parler ensemble des questions d’art et société. Même dans une fédération d’éducation populaire où les idées d’accès à la culture ont été très développées dans un souci d’émancipation des citoyens, dans le souci d’aller vers le progrès. Nous avons beaucoup travaillé sur la démocratisation en se disant qu’il fallait lier les dimensions du « voir« , du « faire », du « pratiquer » mais ces questions de politique de démocratisation n’ont pas donné les effets espérés. Dans chaque enquête sur la pratique culturelle des Français, on constate qu’il n’y a pas de gros développement des pratiques. Aujourd’hui la question se pose différemment, il s’agit de démocratie culturelle : d’essayer de lier les dimensions artistique, sociale et politique dans un souci de démocratie : comment offrir des oeuvres à des gens à qui l’on ne donne pas une place dans la société, comment les faire participer à une culture qui serait partagée.

Il s’agit souvent d’amener les signes d’une culture dominante auprès d’individus qui n’ont pas d’espace pour exprimer leur propre culture. Donc, l’initiative de Cassandre a rejoint notre réflexion et nous avons souhaité ouvrir un espace pour rendre visibles les réalisations qui relient aujourd’hui ces questions d’art, société, politique d’une autre manière, c’est-à-dire où les artistes prennent en compte les individus auxquels ils s’adressent ; où il n’y aurait pas d’un côté des personnes qui travailleraient sur l’art pour l’art et de l’autre côté des gens qui travailleraient sur le social pour le social mais où l’art interroge le social et où il se passe des rencontres qui nous semblent riches et qui ouvrent un avenir de l’action culturelle qui serait différent de ce qu’on a vécu jusqu’à maintenant. C’est ambitieux, car ce qui est important c’est de rendre visible et donc de créer de nouveaux rapports de force. C’est pourquoi nous avons choisi, au cours de ces Rencontres, de faire intervenir beaucoup de monde afin de montrer que de nombreux acteurs, qu’ils soient sociaux ou culturels, se posent ces questions, agissent sur le terrain, pour que ces actions apparaissent, et que l’on parvienne à transformer les rapports entre institutions et associations.

Actes des rencontres nationales en Ile-de-France. Du 22 au 23 mai 1999. Nicolas Roméas.

Nicolas Roméas : Si nous voulons aider à une coordination, c’est que nous avons maintes fois constaté, en tant que revue, que nous étions amenés, de façon informelle, au hasard des rencontres, à présenter des gens dont nous étions sidérés qu’ils ne se connaissent pas. Des gens qu,i de notre point de vue, sont dans le même champ idéologique, qu’ils travaillent dans les hôpitaux, avec les prisonniers, dans les quartiers ou d’autres endroit, leur démarche est très proche, et on se rend compte que cette atomisation produit un considérable affaiblissement des énergies. Beaucoup de groupes tentent de se coordonner, des réseaux se sont formés depuis de nombreuses années.

Ce sont des réseaux de praticiens, de personnes qui ne peuvent pas englober l’ensemble des choses et qui ont tendance, sur un aspect ou un autre, sur la forme ou sur le type de lieu où s’inscrivent les démarches, à ne pas se rencontrer. Nous pensons qu’il y a une nouvelle coordination à établir qui ne soit pas seulement faite par les praticiens eux-mêmes, mais que ces praticiens acceptent de dire : nous avons un point commun que nous devons mettre dans ce cercle, et que les différences continuent à exister en toute liberté. Il faut que cette force se construise en mettant ensemble les choses communes.

Il faut aider à la coordination des activités aussi bien du côté des acteurs sociaux que des acteurs culturels, des lieux, des équipes et des artistes. Cela veut dire utiliser tous les moyens possibles dont nous disposons, notamment internet. Nous sommes en train de construire une architecture qui permettra de circuler dans une base de données extrêmement riche et simple d’utilisation – ne prenons pas ça à la légère : ce sera un outil extrêmement utile.

Il faut construire cet outil qui permette à des gens qui ne se connaissent pas de se rencontrer, d’avoir un forum de discussion par rapport à des besoins, des lacunes, des propositions de façon rapide en contournant les pesanteurs institutionnelles et pyramidales que nous subissons tous. Il s’agit d’autre part de tenter de créer un mouvement qui permette de représenter une force politique face aux forces que nous connaissons et qui sont extrêmement bien structurées, donc aussi permettre à l’institution de savoir à qui elle s’adresse, d’avoir des leviers : parfois l’institution a de bonnes idées, il faut lui permettre de les mettre en pratique. L’atomisation de ces territoires ralentit considérablement le développement des activités, y compris du point de vue de l’institution.

Actes des rencontres nationales en Ile-de-France. Du 22 au 23 mai 1999. Valérie Lang.

Valérie Lang :

Bienvenue au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis. Nicolas Roméas est venu un jour nous rencontrer. Depuis que nous sommes dans ce théâtre, nous essayons de mener deux chemins parallèles : la programmation et ce qu’on appelle, l’action culturelle ou l’action artistique, à nous de le définir pendant ces trois jours. Parallèlement, il y a un travail qui est fait sur le territoire de la Seine-Saint-Denis qui nous paraît un chose importante, non seulement pour que les gens viennent voir les spectacles mais pour retisser un lien et travailler sur le territoire en proximité avec les gens. C’est un travail qu’on mène depuis dix-huit mois, il n’est pas particulièrement singulier dans le sens où beaucoup d’associations, de petites compagnies et de structures et tous les gens qui vont venir et qui viennent ici font ce travail, peut-être la singularité c’est qu’on est un Centre dramatique national et que peu de Centres dramatiques nationaux de banlieue, en tout cas de la périphérie de Paris, mettent beaucoup de moyens dans cette action qui est parallèle à la programmation. Il nous a semblé nécessaire et naturel d’ouvrir ces Rencontres en Île-de-France ici, d’abord parce que nous avons un lieu pour vous accueillir, et qu’on avait envie de vous rencontrer, de se rencontrer, de se réunir et de réunir des forces communes parce que c’est beau de parler d’action culturelle, c’est beau de parler d’action artistique, mais quand on n’a pas les moyens, on ne peut pas le faire. Pour nous c’est aussi un enjeu politique de se réunir pendant ces trois jours pour pouvoir trouver ensemble des forces communes et revendiquer cette action.

Nicolas Roméas : Notre point de vue à nous, association qui édite une revue, est un point de vue qui essaye de conserver une distance qui permette d’échapper d’une part, à la confusion, ou plutôt à la trop grande intimité microcosmique qui finit par empêcher le renouvellement des idées ou par créer une sorte de consensus qui fait qu’au bout d’un moment nous sommes tous d’accord sur tout même si les choses n’ont rien à voir entre elles, et ça nous le constatons de colloque en colloque, le théâtre citoyen, tout le monde est d’accord pour le défendre évidemment, sauf qu’à un moment donné il faut préciser les formes d’action souhaitées. Et on remarque encore aujourd’hui que cette notion dont il est question pendant ces trois jours, action culturelle et artistique, bien que les mots, au sens du dictionnaire, soient très explicites, il est assez mal vu d’employer ces termes-là, on l’a constaté ces temps derniers : beaucoup de gens considèrent encore qu’il faudrait trouver d’autres concepts parce que ça sonne mal. Or je pense qu’il faut au contraire redonner du sens à ces mots et faire ressortir la noblesse qui est à l’intérieur : il s’agit de la place de l’art en tant qu’action.

A ce moment de cette réflexion, nous avons rencontré entre autres partenaires la Ligue de l’Enseignement, en la personne de Marie-Pierre Bouchaudy.

Rencontres nationales en Ile-de-France

Actes des rencontres nationales en Ile-de-France. Du 22 au 23 mai 1999.

Introduction par Nicolas Roméas et Valérie Lang.

 

Nicolas Roméas :

L’association Paroles de théâtre édite la revue Cassandre. Par sa pratique, elle a une distance supposément égale vis-à-vis de chaque école, chapelle, équipe, etc., qui nous permet de proposer de rassembler les énergies autour d’actions communes – c’est le souhait – et non de repartir dans les divergences qui, de toute façon, nous mèneraient dans des débats passionnants, mais infinis. Nous pensons qu’il y a déjà un certain nombre de choses qui se disent, y compris dans notre revue, de colloques qui s’organisent très régulièrement sur Théâtre et citoyenneté etc. pour que nous ne le refassions pas ici…

L’objectif, assez ambitieux, est de proposer une réflexion qui mène à l’action sur la jonction art/société. Nous avons essayé de réunir, autant que nous pouvions, des gens de pratiques artistiques différentes et des gens de pratiques sociales, c’est le cas ce matin, qui font appel à ces artistes, à ces équipes pour agir à l’intérieur de leur pratique, là où – et nous souhaitons que ce soit dit – l’art a une action spécifique, là où, tout d’un coup, dans le cadre d’une activité précise, l’art est irremplaçable. Durant ces trois jours, nous allons essayer de ramasser notre pensée autour de l’action culturelle et artistique d’une manière qui nous permette, avec l’aide de sociologues, d’historiens, philosophes, de re-légitimer en profondeur cette notion, c’est-à-dire essayer de traverser l’image dévalorisante de ce qu’on a pu appeler le « sociocu » et qui a permis de, soit s’en débarrasser, soit se satisfaire du peu d’exigence artistique… Une des choses que nous devons dire en tant qu’observateurs de la vie artistique, c’est que l’exigence artistique fait partie de l’exigence politique, et que l’efficacité sociale et politique de l’art, c’est son efficacité artistique.

On est au théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis. Il y a eu une sorte d’évidence à dialoguer avec ce théâtre qui a manifesté un retour assez violent de la nécessité que nos aînés nous avaient transmise de ce lien entre l’art et les problématiques sociales, et Valérie Lang nous accueille, elle va nous dire pourquoi.

Actes des rencontres nationales en Ile-de-France. Samedi 22 mai 1999, matin.

Présentation de la table ronde par Nicolas Roméas.

 

Nicolas Roméas : Le premier des quatre ateliers qui vont suivre portera sur la nécessité pour les acteurs sociaux de faire entrer à l’intérieur de leur pratique l’art, ou la culture suivant les cas, en tout cas une pratique qui offre une vision différente, un autre angle d’entrée à une pratique professionnelle. Nous souhaitons que cela soit pensé de façon à la fois totalement utilitaire – l’efficacité de la chose – et à la fois totalement artistique. En voyageant, on constate que, dans certaines régions du monde, l’application de l’art à des problèmes particuliers peut produire à la fois un art de très grande qualité et quelque chose qui est à la fois de l’ordre du social, du politique, du thérapeutique, etc., Quelque chose se produit dans la communauté qui catalyse un certain nombre d’énergies avec des symboles, des mythes, des valeurs communes. C’est cette idée-là, qui n’est pas celle d’un simple instrument menant à un art « pompier qui se débarrasserait du problème en envoyant les équipes « calmer le jeu » dans les lieus de la difficulté. Au contraire il faut dire qu’il y a une mission d’une très grande noblesse de l’art qui est en train d’être oubliée, et cette mission concerne l’ensemble de notre communauté.

Si le théâtre – je dis le théâtre parce que c’est l’art sociétal par excellence et ce n’est pas par hasard que nous ayions commencé par parler de théâtre – est l’endroit où la communauté peut se retrouver pour s’adresser à elle-même des messages ou des interrogations, on peut se questionner sur le fait que des formes artistiques correspondent à des publics différents comme si elles appartenaient à des communautés différentes. La fonction qui consiste à réunir l’ensemble de la communauté ne fonctionne plus.

C’est une question importante : sommes-nous en mesure, avec les formes artistiques contemporaines, de construire une autre communauté, à même d’englober un certain nombre de micro-communautés ? Voilà les questions que nous allons aborder. Nous aurons peu de temps pour entendre toutes les narrations des grandes épopées individuelles ou collectives. Nous souhaitons être dans le positif, amener des éléments précis qui permettent de savoir à quoi réellement ces travaux peuvent s’appliquer, quelles sont les lacunes et les outils nouveaux de l’application de cette fonction sociétale de l’art, quelles sont les choses que nous pouvons tenter ensemble d’améliorer. Sylvie Rouxel, sociologue, va animer ce débat.

Sylvie Rouxel : Je propose que chacun expose en quoi l’art a été un principe actif dans chacune de ses actions ou réflexions, donc en quoi l’art interroge le social,et de faire interagir le public.

Interventions :

Guillaume Houzel, responsable d’Anima’fac ; Kamel Basli, comédien, metteur en scène ; Jean-Michel Bourumeau, directeur de la maison de quartier Jacques-Audiberti de Palaiseau ; Dominique Lacotte, professeur relais au lycée Paul-Éluard de Saint-Denis ; Madeleine Abassade, responsable des actions culturelles de l’Institut Marcel-Rivière ; Koman Sinayoko, chef de projet, Tribunal de Grande Instance de Bobigny, Comité de probation et d’assistance aux libérés ; Frédéric Signoret, éducateur spécialisé dans les problématiques sociales, les Compagnons de la nuit ; Zouina Meddour, directrice de quartier, service municipal de la jeunesse du Blanc-Mesnil.