Aux bords de la Nièvre, montée sur des pilotis aussi vacillants que repoussants, gît la Maison de la culture de Nevers. Construite sous l’égide de Malraux, son architecture doit, semble-t-il, beaucoup plus à l’art soviétique et aux abris nucléaires de la guerre froide. Cette façade grise montée sur cinq étages, coincée entre carrefour et marécages, a vu ses salles progressivement se vider, ses portes se fermer, les spectacles, acteurs culturels et publics s’évaporer ; le béton armé constituant l’ultime squelette du vampire désuet. Une élucubration malraussienne tombée à l’eau…
Sur ces terres dévastées, en ces lieux honnis de la politique culturelle étatique, le 1erjanvier 1998 pénétrèrent douze personnes, elles aussi parmi les franges les plus exclues de la société civile. De tous âges, déchues de leur dignité pour des raisons multiples, leur réunion ne tint qu’au détournement d’une commande de la municipalité de Nevers par Jean Bojko. Originellement sollicitée pour inaugurer la Maison de la culture, en cours de réaménagement, la compagnie qu’il dirige – le théâtre de l’Éprouvette – dicta ses conditions : octroi d’une subvention décente et totale liberté quant à la nature de « l’événement culturel ». De ces forces en présence naquit le 1er « Abri culturel », à la croisée d’une opportunité (l’attribution d’un lieu et d’un financement), d’une conscience politique collective (prendre acte de la démission de l’État et s’y substituer), d’une conception intransigeante de la place et de la mission du théâtre. L’Ouverture vraie, dévoilée les 24, 25 et 26 avril 1998, avait tout d’un phalanstère… ces journées firent montre d’une solidarité, d’une générosité et d’un travail inestimables en ces temps chiches de l’action culturelle. L’ambition artistique fut maintenue grâce au travail titanesque accompli sous la houlette de multiples animateurs guidant les acteurs culturels dans le dédale de leurs disciplines respectives : atelier théâtral avec J.Bojko, atelier d’écriture avec Jean-Pierre Renault, de philo, d’histoire de l’art, de musique, de danse, d’arts plastiques, d’arts martiaux… Huit heures de travail quotidien sur trois mois pour s’approprier les rudiments de l’art, et peu à peu s’y exprimer, s’y mettre en scène, s’y libérer. Le pari semblait une gageure, il vit la parole se désembourber des sensibilités individuelles pour former une expression collective et publique qui s’y donna à lire, à voir et à écouter. Les locaux – cages d’escalier, réduits grisâtres, salles minuscules – furent le premier réceptacle de cette libération langagière : dessins, poèmes, harangues et appels y furent tapissés, cris de rage et d’espoir assumés. Les terrasses regorgent de pantins de tissu et de papier, clamant les slogans et rengaines affichés sur les palissades de l’édifice. Le lieu était pris, arraché aux turpitudes politiques : la culture est morte, vive la culture !