Xavier Marcheschi
Propos recueillis par Myriem Hajoui
Flibustier de la scène, franc-tireur patenté, libre penseur, figure totémique d’un département aux rêves piratés, bretteur infatigable des planches, Xavier Marcheschi a toujours préféré les habits de bure aux habits de lumière, l’aventure humaine à celle de la société-spectacle. Son credo : fouler au pieds les a priori parisianistes, ruiner les clichés qui vouent la banlieue aux gémonies du socio-culturel de pacotille et rabattre le caquet des aigrefins pour qui les pièces du répertoire ne sont pas accessibles aux exclus de la logique économique. Le reste n’étant que billeversées. Un visage travaillé au burin par le temps, des yeux laissant filtrer un regard qui jauge sans aménité, capable de passer de la fureur électrique à la bienveillance, cet artisan travaille inlassablement à rejoinder les spectateurs de la ville la plus pauvre du département.
Tandis que certains se lancent un brin amusés dans l’aventure dans l’aventure du théâtre socio-culturel façon folklore, il dresse un joyeux bilan (de 34 ans) au service du théâtre de proximité. Sans pathos ni prêchi-prêcha, il arrache la peau des apparences pour nous faire découvrir ce qui s’y tient caché : notre sauvagerie.
Cassandre : Xavier Marcheschi, racontez-nous votre arrivée au Studio Central de Stains…
Xavier Marcheschi : Tout a débuté par une préfiguration assez longue. J’ai toujours fonctionné comme ça ; je n’ai jamais été parachuté nulle part. J’ai besoin d’une longue approche, de bien connaître mon sujet avant de me lancer dans une aventure. Au début des années 60, tandis que je travaillais avec Jean Negroni à l’édification d’un grand théâtre populaire, je me suis retrouvé dans une cité de transit cernée par des clôtures à Créteil, au cœur d’une association d’aide aux délinquants. Une autre planète ! Ces pré-délinquants ou délinquants sortis de prison étaient désireux de participer à une activité mécanique. Cela fut fait. Mais parallèlement à l’atelier mécanique, j’ai proposé une activité théâtrale. Nous avons monté Le Commissaire est bon enfant de Courteline qui les a beaucoup amusés. Pensez, se payer la fiole des flics ! Cela dit, il s’agissait d’un veritable travail théâtral. J’étais déjà en pleine préfiguration. Arrivent les années 70, une collaboration de deux ans avec Jacques Lassalle à Vitry, mais aussi avec Claude Girard. Ce qui n ous intéressait alors, c’était le travail d’enquête auprès des gens, des jeunes, tout ce qui relevait de l’improvisation également. À ce moment-là, le lien avec la réalité passait par plusieurs subjectivités. Mais il s’agissait de la langue de Lassalle au fond. Ressentant de plus en plus le besoin d’aller en amont rencontrer les gens, j’ai décidé de rompre les amarres. Travailler avec Lassalle m’a certes enrichi, mais je crois sincèrement que tout ce que j’ai pu apprendre, je le dois avant tout à moi-même, comme tous les autodidactes. J’ai toujours pensé que des gens comme Lassalle étaient beaucoup trop enfermés dans leur culture, leur citadelle du savoir, et peu enclins au partage. Il faut resituer le contexte : c’était alors l’époque du metteur en scène gourou, de « l’acteur-marionnette ». Je passe sur une foultitude d’expériences, notamment au Théâtre Présent, pour arriver aux années 70 qui m’amènent à la direction de la Maison du Peuple de La Courneuve. Le travail de préfiguration à Stains se confirme vraiment là. Avec quatre comédiens, on a exploré toutes les voies possibles et imaginables, joué dans les cantines, les foyers, les salles de classe, avec toujours en ligne de mire le jeune public de La Courneuve. Une expérience formidable sur le terrain vraiment ! Début 80, en tant que directeur de l’Espace Paul Eluard, je poursuis ce contact quotidien avec le futur public en fréquentant les comités d’entreprise, les foyers de travailleurs, les églises, les entrepôts… Un jour de 1984, passant devant un vieux cinéma fermé, Le Central (tous les cinémas de Stains ayant été transformés en boulangeries industrielles ou en magasins d’électroménager), j’ai demandé l’autorisation d’en faire un lieu de création et de répétition. Un bail de longue durée fut signé. Nous l’avons mis en configuration, aménagé, ajouté notre mémoire, notre pratique, notre esthétique. Le Studio Central de Stains était né !
Un lieu oui, mais pour répondre à quels objectifs ?
L’arrivée au Studio n’est que le résultat d’un long cheminement, pas moins de vingt ans de travail sur la ville (bibliothèques, foyers, collèges … ). Mon seul désir était de rencontrer le public par la création. Commencer par la base pour arriver au sommet. Et ce ne fut pas chose aisée : nous étions, je le rappelle, dans l’ère du « tout créateur ». En fonction de la ville, du lieu où vous vous trouviez vous étiez un créateur ou rien. Je me suis aperçu que les gens que je pensais être des alliés ne l’étaient plus une fois arrivés dans l’institution. je me suis même entendu dire : « Pourquoi voulez-vous faire du théâtre à Stains puisqu’il y a Saint-Denis ? » Dès lors, j’ai compris le processus de démolition, de casse, des « dinosaures », des supermarchés qui ne supportent pas les petites boutiques et s’efforcent de les marginaliser. Peu importe ! Il y a une dichotomie violente entre le travail de certaines compagnies et cette situation monarchique. Chéreau déclarait un jour à qui voulait l’entendre : « Je veux que mes acteurs pètent dans de la soie. ». Nous travaillons avec Marjorie Nakache (depuis le début des années 80), dans les difficultés de la création, mais avec quel plaisir !