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AVIS DE TEMPÊTE…

Mars 1997

  • FENÊTRE SUR COUR
    > Que ton oui soit oui, que ton non soit non/Entretien avec Robert Abirached. – Vieux rêves et nouvelles donnes.
  • FIL D’ARIANE
    > ANRAT, quatorze ans au service du théâtre et de l’éducation. L’un ne va pas sans l’autre.
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    > Le Tiers-Lieu à Tours : Renaître par le théâtre
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    >Question d’automne à PalaiseauAlençon à l’école du spectateurThylda prend son tempsLa ville est un grand hôpital de jour.
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    > Lettre ouverte à Monsieur le Directeur du Théâtre et des Spectacles, ministère de la CultureDe quelques peversités.
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    >Je ne sais quoi, de Georges Appaix : Usage philologique de la danse.
  • SI LOIN, SI PROCHE
  • POINTS DE MIRE
  • ÉCRIT
    > Françoise Gerbaulet

Entretien avec Jean-Gabriel Carasso. L’Anrat : quatorze ans au service du théâtre et de l’éducation

« L’un ne va pas sans l’autre » 


Propos recueillis par François Campana


Après le rapport Rigaud, les promesses du candidat Chirac, les déclarations du Ministre, où en sommes-nous de l’Éducation artistique en France ? Jean-Gabriel Carasso, directeur de l’ANRAT (Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale) fait le point sur les relations Théâtre/Éducation, les actions engagées sur le terrain, et le travail de cette association regroupant les acteurs intéressés : artistes, enseignants, formateurs, etc…

Cassandre : Qu’est-ce que l’ANRAT, et quel est son rôle ?

Jean-Gabriel Carasso : C’est une association qui rassemble des militants du théâtre et de l’éducation, des enseignants qui s’intéressent au théâtre, et des gens du théâtre qui s’intéressent à l’éducation. Ces gens militent pour développer des pratiques, mais aussi pour réfléchir sur le sens de ce qu’il font, et dans quel contexte. Nous menons un double combat : sur les rapports du théâtre et de l’éducation, dans les deux sens, pas seulement sur les pratiques théâtrales dans l’éducation, mais aussi sur la façon dont les jeunes spectateurs peuvent aller au théâtre, et sur le rôle joué par les institutions. Parallèlement, nous menons un combat plus large sur l’éducation artistique. Nous ne sommes qu’un petit morceau du puzzle. On réfléchit, on essaye d’apporter notre concours à la réflexion générale, entre autres lors des assises nationales.

Que pensez-vous de la situation actuelle ?

Nous sommes dans une période paradoxale, on n’a jamais autant parlé d’éducation artistique dans ce pays. Le Président de la République avait deux thèmes de campagne culturelle : 1% du budget de l’État pour la Culture et le développement de l’éducation artistique. Le rapport Rigaud précise que l’orientation principale à suivre, c’est l’éducation artistique, le récent livre d’Urfalino(l) dit que la politique de démocratisation a eu des effets intéressants, mais qu’elle a aussi masqué l’absence de politique de formation et d’éducation. On a analysé cela comme étant dû à la naissance du ministère de la Culture, arraché au ministère de l’Education nationale. Mais derrière ce thème de l’éducation artistique chacun met ce qu’il veut. En novembre et en décembre, cinq rencontres ont été organisées par le ministère de la Culture, uniquement par lui et non par l’Éducation nationale… Il était frappant de voir combien ce concept d’éducation artistique est exprimé de façon globale.

Si l’on parle d’éducation artistique il faut séparer trois domaines :

  • premièrement : quelle pratique artistique peut-on faire à l’école avec des enfants ?
    Comment un enfant, à l’école primaire, au collège, au lycée, peut-il faire autre chose qu’une heure de musique au programme, avoir une pratique, entrer dans un art – le théâtre, le cinéma, la danse ou autre chose – en en faisant. Cela pose une série de question : qui va le faire ? A quel moment ? Quel rapport entretenir avec les enseignements fondamentaux ? Quel est le rôle du partenariat, des artistes… ?. Et il y a des expériences formidables.
  • deuxièmement : l’approche culturelle. Comment entrer dans l’art et le théâtre par l’initiation en tant que spectateur ? Comment faire découvrir à des jeunes qu’il existe des bâtiments appelés théâtres, des comédiens, des metteurs en scène, des œuvres, qu’on peut les comparer, faire le lien avec l’histoire, la philosophie, la politique… ? Cela pose des problèmes de programmation, de déplacement, de formation des enseignants, des médiateurs dans les théâtres, de jumelages. Ce sont des réflexions qui amènent d’autres types de questions et d’autres réponses.
  • le troisième aspect est la pratique volontaire du théâtre. Se pose alors la question des troupes amateurs, soit dans des lieux spécialisés, comme pour la musique ou la danse, soit dans les conservatoires municipaux ou régionaux. On peut vouloir jouer d’un instrument par un acte volontaire, soit parce que sa famille l’a décidé, soit parce qu’on souhaite former un groupe de rap, etc… La question de la pratique amateur va au-delà du milieu scolaire, c’est une troisième question : celle du rôle des collectivités locales et du suivi du ministère de la Jeunesse et des Sports. Où se situe la pratique ? Doit-elle se rattacher au ministère de la Culture ?

À mélanger ces trois choses, on ne sait plus de quoi on parle et on fait des effets d’annonce politique. C’est ce qui s’est passé au mois de novembre quand dans Le Monde, un article du ministre de la Culture annonçait qu’il allait donner un milliard pour l’éducation artistique. Il s’agissait en réalité de mettre en place six ou huit instituts supérieurs de musique et de danse dans le paysage français, c’est-à-dire des lieux de formation pour des amateurs éclairés. Je n’ai rien contre les instituts et les conservatoires, mais ce n’est pas là que l’on va résoudre le problème démocratique. Il faut clarifier ces trois thèmes, mais aussi le rapport du ministère de la Culture avec celui de l’Éducation nationale. C’est la deuxième question. On ne pourra pas en faire l’économie. La DDF freine des quatre fers pour avoir le moins de relations possibles avec l’Éducation nationale.

Pourquoi ? Pour faire des économies ?

Je ne crois pas. Il n’y a pas beaucoup d’argent, les crédits de la DDF concernant l’éducation artistique sont remis en cause en permanence, les choix ministériels sont de mettre le paquet sur des projets de quartier, sur des sites expérimentaux. C’est la vitrine. Ce travail nécessite du temps, de la durée, de la discrétion. C’est politiquement moins utilisable à court terme. La politique de partenariat efficace et dynamique entre le ministère de la Culture et l’Éducation nationale n’est pas totalement estompée. Mais elle se dirige plus vers une dynamique de conflit que vers un vrai travail de collaboration.

Il y a pourtant une convention entre l’Éducation nationale et la Culture.

Il y a eu des conventions, et le protocole de 1993 a mis en place des sites expérimentaux. Tout cela existe, mais avec très peu de moyens et d’énergie. Le problème de l’éducation artistique, c’est la quasi schizophrénie entre les déclarations et les actes. Du point de vue de la conceptualisation, personne ne sait quoi faire. Et les gens qui travaillent là-dessus ne s’adressent pas vraiment à ceux qui font le travail depuis dix ans pour participer concrètement à l’élaboration des choses.
Il y a une perte financière du côté des troupes du fait de la baisse des crédits. Et par ailleurs on a toujours manqué, dans l’éducation artistique, de gens pour assurer les classes spécialisées…
Il n’y a pas assez de crédits pour tout, pour la création en général, pour les spectacles. Ce qui est menacé ce n’est pas ce qui est institutionnalisé, comme les classes théâtre qui passent le bac, c’est tout le reste. Ces vingt dernières années ont vu l’institutionnalisation progressive d’un travail militant. Certains se contenteraient de quelque 200 lycées ayant un bac théâtre. Pas nous. Une de nos priorités, c’est de travailler du côté de l’école primaire où il se passe très peu de choses, ou du côté de la formation des enseignants, dans les IUFM (2).
S’il n’y a pas un renouvellement des cadres, il y aura essoufflement. Comme pour la formation des comédiens et des metteurs en scène, il y a un énorme travail à faire là aussi.


Il ne se passe rien dans les IUFM ?

Ça bouge un peu, il y a des DRAC qui discutent avec certains IUFM. À Amiens, ils ont fait un travail formidable… Mais les IUFM n’ont pas de vraie politique, chacun fait ce qu’il veut. Il faudrait enquêter là-dessus. Quand on touche les jeunes enseignants sur ces questions, ils sont très contents, mais ceux qui iront dans les lycées et les collèges n’auront pas de moyens pour travailler. Il faut choisir les priorités, et prendre du temps. Il ne faut pas faire d’effet d’annonce et de politique autour..

Vous parliez du travail fait à l’ANRAT, c’est une sorte d’observatoire des politiques théâtrales et culturelles ?

L’ANRAT est née en 1983 de la volonté de quelques militants du théâtre et de l’éducation. Il y avait à l’époque toutes sortes d’expériences réparties un peu partout, ateliers, PAE, etc. C’était le début de la première convention entre les deux ministères. Les ateliers de pratique artistique globale n’existaient pas. Les gens qui étaient des militants du rapport théâtre et éducation se sont rassemblés. Le travail de l’association pendant dix ans a été d’ouvrir les portes et de faire sortir ce thème de sa marginalité. C’est un travail d’observation, d’information et de réflexion sur le sens de ce qu’on fait. Nous avons toujours mené un travail de recherche et de propositions. Nous avons ouvert une série de chantiers de réflexion qui aboutissent à des publications, des films, y compris au niveau international

“Que ton oui soit oui, que ton non soit non” Entretien avec Robert Abirached

Propos recueillis par Nathalie Bentolila

La réduction du budget de la culture et la refonte du statut des intermittents du spectacle ont cristallisé ces derniers mois le désarroi et la colère de nombreux artistes. Investissant la rue pour dire leur désaccord avec une société de plus en plus soumise à des impératifs de rentabilité économique, deux exemples de gestion de la vie publique – l’un national, l’autre municipal – les ont amenés à étendre leur mobilisatoin à des luttes plus “politiques”. Qu’il s’agisse du projet de loi Debré ou de “l’affaire Paquet” à Châteauvallon, les prises de position des artistes ont émergé dans une apparente unité. Nous avons voulu recueillir sur ce sujet le point de vue de Robert Abirached, Directeur du Théâtre et des Spectacles au ministère de la Culture de 1981 à 1988. Pour lui, la lutte des classes au sein du théâtre existe bel et bien…

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Cassandre : La question de l’intermittence ne peut être détachée de la baisse des financements publics : plus on affaiblit les structures en leur imposant des mesures budgétaires restrictives, plus cette précarisation se répercute en termes d’emploi. Comment gérer de concert ces deux dimensions d’une même situation dans notre système actuel ?

Robert Abirached : C’est en effet compliqué, car la situation des intermittents ne dépend pas du ministère de la Culture. Et le véritable subventionneur du théâtre en France, ce n’est pas lui mais le ministère du Travail et des Affaires sociales. Le ministre de la Culture ne peut donc pas rester en suspens comme un arbitre de ping-pong, ce qu’il est aujourd’hui : il fait comme s’il avait du pouvoir, il n’obtient que des sursis.
Si on veut un théâtre, un cinéma, une création qui ne réponde pas avant tout à des critères commerciaux, il faut accepter une situation dérogatoire pour les intermittents du spectacle. C’est une question qui traîne depuis six ou sept ans. On l’a toujours repoussée en posant des rustines, sans l’attaquer de face dans une négociation. On s’aperçoit d’ailleurs que le théâtre tient une place minime par rapport à l’ensemble des intermittents concernés. Il y a quelques années, on a demandé à Jean-Pierre Vincent de faire un rapport sur la question, il a formulé des propositions, par exemple de créer un observatoire pendant deux ou trois ans, de favoriser une meilleure rentrée des cotisations, de pourchasser le travail au noir, mais on n’a pas avancé d’un centimètre. Il est nécessaire d’élucider une fois pour toutes cettesituation, en négociant et en proposant une méthode de travail : qu’on nous dise, dans un contexte de baisse constante, quel ministère serait prêt à assumer la compensation du déficit, à quelle hauteur, et quand elle serait budgétée. On ne peut pas continuer de gouverner par de bonnes paroles…

Le budget de la culture n’a cessé de plonger depuis le fameux 1 % de 1993 : 0,93 % en 1994, 0,91% en 1995, 0,88% en 1996, 0,79% en 1997, sans tenir compte de l’élargissement des compétences (Chiffres de la Loi de Finance Initiale, en % par rapport au budget de la nation). Dans un contexte de crise généralisée, il est compréhensible que tous les budgets subissent une cure d’amaigrissement… La ceinture vous parait-elle plus serrée dans le milieu culturel ?

Serrer la ceinture, ça veut dire traquer les gaspillages, les dépenses inutiles, les fonctionnements abusifs, les rentes de situation… C’est aussi légitime qu’appeler les institutions à une gestion publique saine, et Dieu sait que le théâtre public, en la matière, a du aussi balayer devant sa porte… Mais si on se met à toucher à l’essentiel, ça n’a pas de sens. Je ne veux pas faire de critique sur trois millions de plus ou de moins. Le vrai problème, c’est que le budget est devenu insaisissable pour plusieurs raisons. Il est frappé en-cours d’année de multiples collectifs budgétaires. On gèle des crédits, on ne sait pas si ça se dégèle… Les gels vont-ils se transformer en annulations budgétaires ? Si oui, comment vont-elles être réparties ? On ajoute à chaque budget des apports nouveaux en oubliant de préciser qu’ils correspondent à des déplacements ou à des élargissements de compétences : écoles d’architecture, cafés-musique… Il faudrait aussi tenir compte du fait que quand un gel se poursuit jusqu’au mois d’octobre suivant, ça équivaut, à peu de choses près, à une suppression. Notez enfin qu’on ne touche pas à ce qui est voyant, aux institutions importantes. C’est dans les souterrains du budget qu’on découvrira que telle ligne a baissé de tant. Tout ça entretient le flou, on ne peut plus se fier au budget voté.
Mais mes reproches ne portent pas simplement sur la baisse. Il y a une phrase, qui vient de l’Evangile mais ce n’est pas une raison pour ne pas la citer : « Que ton oui soit oui, que ton non soit non ». La gravité de la situation tient au fait que ces réductions ne sont pas assumées, qu’elles sont brouillées et que le Ministère finit par dire le contraire de ce qu’il fait dans la plupart des cas.

Les théâtres, compagnies, entreprises artistiques et culturelles sous forme associative ont toujours bénéficié d’une fiscalité particulière, notamment sur les subventions qu’elles perçoivent. Or aujourd’hui, on assiste à une fiscalisation croissante de ces entreprises. A Montluçon par exemple, Les Fédérés se sont vus imposer la TVA sur la valeur locative du bâtiment prêté par la ville. Les contrôles fiscaux se multiplient, portant y compris sur l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés. Comment analysez-vous cette tendance ?

C’est le Ministère des Finances qui établit les fiscalités, et il n’a pas besoin pour cela de consulter le ministère de la Culture ! Pendant un certain moment, le ministère de la Culture avait obtenu des arbitrages qui lui étaient favorables auprès du Ministère des Finances, mais il est en train de perdre tout prestige auprès des véritables décideurs. Il est redevenu un nain pour Bercy. Le ministre de la Culture ne peut que déplorer, vertueusement, une telle situation. Simplement il faut savoir où est le pouvoir. La force de Lang consiste d’abord à avoir imposé des budgets à la fois amples et cohérents.

Ce serait donc aussi une question de personnalité du Ministre ?

Le poids d’un Ministre ne dépend pas uniquement de ce qu’il fait, mais de la manière dont il arrache des arbitrages. Il est clair que le prestige de ce ministère est en perte de vitesse constante. Lorsque Philippe Douste-Blazy va à Châteauvallon, prend position fermement contre la politique du Front National, et que le Président de la République refuse de renvoyer le préfet du Var, ne me dites pas que ça contribue à affermir sa position !

Pour l’ANRAT (Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale), dont vous êtes président, la réduction budgétaire prend des allures de saignée…

Le budget de l’ANRAT est passé de 600 000 francs il y a trois ans à 150 000 francs aujourd’hui : ils ont eu une première réduction de 50% par la Délégation au Développement et aux Formations, et elle vient de leur notifier une nouvelle coupe de 50%. Or, si on voulait créer une agence pour faire tout ce que fait l’ANRAT, les publications, les colloques, les rencontres, les mises en rapport des uns et des autres, le travail sur la francophonie, ça coûterait vingt fois plus cher. Le Ministère fait comme si l’art pouvait réduire la « fracture sociale », mais il réduit de 20 millions de francs le budget de la DDF, qui est en quelque sorte son « bras armé » en la matière. De toute façon l’art n’y peut rien. L’action culturelle oui. Comment voulez-vous que ce Ministère puisse faire un travail social, quand il n’a même pas la tutelle des 4000 MJC, au niveau desquelles un vrai travail de proximité peut se faire ? Il pourrait aussi réclamer la tutelle du théâtre amateur, toujours dépendant de Jeunesse et Sport.

La visibilité dans les médias de la mobi1isation des artistes s’est récemment amplifiée, du fait de leur engagement conjoint contre les lois Debré et la montée du Front National. Pensez-vous que cette unité soit réelle ou seulement apparente ?

Quand elle porte sur des points vitaux, elle est réelle. Cette solidarité serait sûrement menacée s’il était question de répartition de crédits, d’opposition entre petits et grands. A Châteauvallon, on se bat sur l’indépendance d’une entreprise culturelle, dans une mission de service public. C’est un symbole vital pour la continuation de la vie artistique dans ce pays. C’est le rôle des artistes de mettre en garde contre ce type de dérives.

Quand on voit ce qui se passe à Châteauvallon, la culture nous apparaît clairement comme une forme de résistance. Or aujourd’hui il semblerait que la résistance passe davantage par le discours que par la création de formes esthétiques. Le théâtre proprement « politique » serait-il en perte de vitesse ?

Il y a des formes à inventer en matière de théâtre politique, on ne peut pas dire que cette forme soit morte. Je connais des artistes qui font du théâtre politique mais ils ne sont pas mis en épingle par les médias : le Théâtre du Hasard, le travail de La Coupole à Combs-La-Ville, et tant d’autres… Quand Gatti travaille en banlieue, il peut y avoir des échecs mais aussi des réussites artistiques : je ne parle pas là de réussites sociales. Je le précise car à chaque fois qu’on vous cite un travail qui a une incidence politique, on nie sa dimension artistique. La « bande des 20 » a figé une fois pour toutes les critères de l’artistique, de Peter Stein à Patrice Chéreau, du Théâtre National de Rennes à Milan : la fabrique européenne de théâtre, avec quelques américains. C’est aussi de là que vient la crise. Il y a une véritable lutte des classes aujourd’hui au sein du théâtre. Je crois qu’il faut regarder les pratiques artistiques et politiques simultanément. Heiner Müller n’était-il pas profondément politique ? Pourtant son oeuvre est éminemment contemporaine. Une pièce comme Décadence de Steven Berkoff est politique, mais pas dans les normes des années cinquante.

Quand vous employez le terme de « théâtre politique », que mettez-vous derrière ?

Un théâtre qui représente de façon critique et pour la transformer, la vie du monde où nous sommes. Vous avez toujours eu de l’agit-prop, des choses plus spécifiquement politiques. Mais aujourd’hui il n’y a plus de slogan autour duquel on puisse rassembler les gens. Ceci dit le théâtre politique ne s’est jamais confondu avec le théâtre d’un parti.
Ce qui m’intéresse, c’est de voir quels sont les germes d’avenir dans le présent, ce n’est pas de revenir sur ce qui n’existe plus. Par exemple : que va donner le théâtre de rue ? Que signifie-t-il d’un point de vue idéologique ? Peut-il y avoir un théâtre de rue plus politique ? On a vu apparaître un théâtre d’objets et de figures. Quand on en parlait en 1990, personne n’y prêtait attention, mais aujourd’hui cette forme tient une place importante. Comment comprendre ces évolutions ? Ce dont j’ai assez au théâtre, ce sont les spectacles qui ne procurent aucune émotion.

Ça, tout le monde le dit, c’est même devenu banal : « au théâtre, on s’ennuie »…

Et on fait de plus en plus long ! Les metteurs en scène ne s’aperçoivent même pas que le discrédit les guette. On vit sur un ressort qui n’a pas fini de se détendre, mais nous sommes à un carrefour. Le monde change, on est toujours en retard par rapport à ses mutations. Les pratiques artistiques les plus affirmées ne sont pas vouées à stagner dans la même configuration. Des pratiques nouvelles émergent, qui échappent complètement aux administratifs. La médiation entre public et producteurs ne se fait pas encore sur ces formes nouvelles. Il serait pourtant passionnant de les observer, tant au point de vue politique qu’au point de vue social.

Entretien avec Jean-Gabriel Carasso. L’Anrat : quatorze ans au service du théâtre et de l’éducation

Propos recueillis par François Campana


Après le rapport Rigaud, les promesses du candidat Chirac, les déclarations du Ministre, où en sommes-nous de l’Éducation artistique en France ? Jean-Gabriel Carasso, directeur de l’ANRAT (Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale) fait le point sur les relations Théâtre/Éducation, les actions engagées sur le terrain, et le travail de cette association regroupant les acteurs intéressés : artistes, enseignants, formateurs, etc…

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Cassandre : Qu’est-ce que l’ANRAT, et quel est son rôle ?

Jean-Gabriel Carasso : C’est une association qui rassemble des militants du théâtre et de l’éducation, des enseignants qui s’intéressent au théâtre, et des gens du théâtre qui s’intéressent à l’éducation. Ces gens militent pour développer des pratiques, mais aussi pour réfléchir sur le sens de ce qu’il font, et dans quel contexte. Nous menons un double combat : sur les rapports du théâtre et de l’éducation, dans les deux sens, pas seulement sur les pratiques théâtrales dans l’éducation, mais aussi sur la façon dont les jeunes spectateurs peuvent aller au théâtre, et sur le rôle joué par les institutions. Parallèlement, nous menons un combat plus large sur l’éducation artistique. Nous ne sommes qu’un petit morceau du puzzle. On réfléchit, on essaye d’apporter notre concours à la réflexion générale, entre autres lors des assises nationales.

Que pensez-vous de la situation actuelle ?

Nous sommes dans une période paradoxale, on n’a jamais autant parlé d’éducation artistique dans ce pays. Le Président de la République avait deux thèmes de campagne culturelle : 1% du budget de l’État pour la Culture et le développement de l’éducation artistique. Le rapport Rigaud précise que l’orientation principale à suivre, c’est l’éducation artistique, le récent livre d’Urfalino(l) dit que la politique de démocratisation a eu des effets intéressants, mais qu’elle a aussi masqué l’absence de politique de formation et d’éducation. On a analysé cela comme étant dû à la naissance du ministère de la Culture, arraché au ministère de l’Education nationale. Mais derrière ce thème de l’éducation artistique chacun met ce qu’il veut. En novembre et en décembre, cinq rencontres ont été organisées par le ministère de la Culture, uniquement par lui et non par l’Éducation nationale… Il était frappant de voir combien ce concept d’éducation artistique est exprimé de façon globale.

Si l’on parle d’éducation artistique il faut séparer trois domaines :

  • premièrement : quelle pratique artistique peut-on faire à l’école avec des enfants ?
    Comment un enfant, à l’école primaire, au collège, au lycée, peut-il faire autre chose qu’une heure de musique au programme, avoir une pratique, entrer dans un art – le théâtre, le cinéma, la danse ou autre chose – en en faisant. Cela pose une série de question : qui va le faire ? A quel moment ? Quel rapport entretenir avec les enseignements fondamentaux ? Quel est le rôle du partenariat, des artistes… ?. Et il y a des expériences formidables.
  • deuxièmement : l’approche culturelle. Comment entrer dans l’art et le théâtre par l’initiation en tant que spectateur ? Comment faire découvrir à des jeunes qu’il existe des bâtiments appelés théâtres, des comédiens, des metteurs en scène, des œuvres, qu’on peut les comparer, faire le lien avec l’histoire, la philosophie, la politique… ? Cela pose des problèmes de programmation, de déplacement, de formation des enseignants, des médiateurs dans les théâtres, de jumelages. Ce sont des réflexions qui amènent d’autres types de questions et d’autres réponses.
  • le troisième aspect est la pratique volontaire du théâtre. Se pose alors la question des troupes amateurs, soit dans des lieux spécialisés, comme pour la musique ou la danse, soit dans les conservatoires municipaux ou régionaux. On peut vouloir jouer d’un instrument par un acte volontaire, soit parce que sa famille l’a décidé, soit parce qu’on souhaite former un groupe de rap, etc… La question de la pratique amateur va au-delà du milieu scolaire, c’est une troisième question : celle du rôle des collectivités locales et du suivi du ministère de la Jeunesse et des Sports. Où se situe la pratique ? Doit-elle se rattacher au ministère de la Culture ?

À mélanger ces trois choses, on ne sait plus de quoi on parle et on fait des effets d’annonce politique. C’est ce qui s’est passé au mois de novembre quand dans Le Monde, un article du ministre de la Culture annonçait qu’il allait donner un milliard pour l’éducation artistique. Il s’agissait en réalité de mettre en place six ou huit instituts supérieurs de musique et de danse dans le paysage français, c’est-à-dire des lieux de formation pour des amateurs éclairés. Je n’ai rien contre les instituts et les conservatoires, mais ce n’est pas là que l’on va résoudre le problème démocratique. Il faut clarifier ces trois thèmes, mais aussi le rapport du ministère de la Culture avec celui de l’Éducation nationale. C’est la deuxième question. On ne pourra pas en faire l’économie. La DDF freine des quatre fers pour avoir le moins de relations possibles avec l’Éducation nationale.

Pourquoi ? Pour faire des économies ?

Je ne crois pas. Il n’y a pas beaucoup d’argent, les crédits de la DDF concernant l’éducation artistique sont remis en cause en permanence, les choix ministériels sont de mettre le paquet sur des projets de quartier, sur des sites expérimentaux. C’est la vitrine. Ce travail nécessite du temps, de la durée, de la discrétion. C’est politiquement moins utilisable à court terme. La politique de partenariat efficace et dynamique entre le ministère de la Culture et l’Éducation nationale n’est pas totalement estompée. Mais elle se dirige plus vers une dynamique de conflit que vers un vrai travail de collaboration.

Il y a pourtant une convention entre l’Éducation nationale et la Culture.

Il y a eu des conventions, et le protocole de 1993 a mis en place des sites expérimentaux. Tout cela existe, mais avec très peu de moyens et d’énergie. Le problème de l’éducation artistique, c’est la quasi schizophrénie entre les déclarations et les actes. Du point de vue de la conceptualisation, personne ne sait quoi faire. Et les gens qui travaillent là-dessus ne s’adressent pas vraiment à ceux qui font le travail depuis dix ans pour participer concrètement à l’élaboration des choses.
Il y a une perte financière du côté des troupes du fait de la baisse des crédits. Et par ailleurs on a toujours manqué, dans l’éducation artistique, de gens pour assurer les classes spécialisées…
Il n’y a pas assez de crédits pour tout, pour la création en général, pour les spectacles. Ce qui est menacé ce n’est pas ce qui est institutionnalisé, comme les classes théâtre qui passent le bac, c’est tout le reste. Ces vingt dernières années ont vu l’institutionnalisation progressive d’un travail militant. Certains se contenteraient de quelque 200 lycées ayant un bac théâtre. Pas nous. Une de nos priorités, c’est de travailler du côté de l’école primaire où il se passe très peu de choses, ou du côté de la formation des enseignants, dans les IUFM (2).
S’il n’y a pas un renouvellement des cadres, il y aura essoufflement. Comme pour la formation des comédiens et des metteurs en scène, il y a un énorme travail à faire là aussi.


Il ne se passe rien dans les IUFM ?

Ça bouge un peu, il y a des DRAC qui discutent avec certains IUFM. À Amiens, ils ont fait un travail formidable… Mais les IUFM n’ont pas de vraie politique, chacun fait ce qu’il veut. Il faudrait enquêter là-dessus. Quand on touche les jeunes enseignants sur ces questions, ils sont très contents, mais ceux qui iront dans les lycées et les collèges n’auront pas de moyens pour travailler. Il faut choisir les priorités, et prendre du temps. Il ne faut pas faire d’effet d’annonce et de politique autour..

Vous parliez du travail fait à l’ANRAT, c’est une sorte d’observatoire des politiques théâtrales et culturelles ?

L’ANRAT est née en 1983 de la volonté de quelques militants du théâtre et de l’éducation. Il y avait à l’époque toutes sortes d’expériences réparties un peu partout, ateliers, PAE, etc. C’était le début de la première convention entre les deux ministères. Les ateliers de pratique artistique globale n’existaient pas. Les gens qui étaient des militants du rapport théâtre et éducation se sont rassemblés. Le travail de l’association pendant dix ans a été d’ouvrir les portes et de faire sortir ce thème de sa marginalité. C’est un travail d’observation, d’information et de réflexion sur le sens de ce qu’on fait. Nous avons toujours mené un travail de recherche et de propositions. Nous avons ouvert une série de chantiers de réflexion qui aboutissent à des publications, des films, y compris au niveau international.[