Attac bouscule les bastions

Entretien avec Bernard Cassen

Propos recueillis par Valérie de Saint-Do

Quand ATTAC est apparu sur la scène publique, le qualificatif « mouvement d’Éducation populaire » a surpris les tenants traditionnels de cette appellation. Pourtant, ses références viennent de loin : elles puisent aux mouvements d’émancipation ouvriers du XIXe siècle, plutôt qu’à l’Éducation populaire issue de la Libération – au risque de négliger le rôle de l’art et de la culture dans cette tradition… En revendiquant cette étiquette, ATTAC* a contribué à nourrir la réflexion sur une refondation de l’Éducation populaire. Bernard Cassen, son premier président, analyse cette référence.

« Quand ATTAC s’est constitué, en juin 1998, on ne s’est pas posé la question de son identité : c’était une association qui luttait contre le néolibéralisme. La formule qui la définit maintenant n’est pas dans ses statuts. Elle est née lors de l’édition de Lignes d’ATTAC, dont le premier
numéro est paru en mars 1999. Je rédigeais l’éditorial, et je me suis demandé : “Que sommes-nous en train de construire ?” Finalement, j’ai écrit : “ATTAC est un mouvement
d’Éducation populaire, tourné vers l’action.” La formule
a fait mouche : il y a des mots dans l’air et qui atterrissent, comme “altermondialiste ”… Cette définition
correspondait à ce que je percevais d’ATTAC après quelques mois de fonctionnement. Depuis, elle est reprise par tous !
Je l’ai utilisée délibérément pour m’insérer dans une tradition qui date du XIXe siècle. Dans le mouvement ATTAC, tout le monde n’est pas au fait de la grande tradition de l’Éducation populaire française, y compris au conseil d’administration ! La formation de beaucoup de membres
d’ATTAC les conduit à ignorer cette histoire. La responsabilité en incombe aux mouvements d’Éducation populaire qui ne se sont pas fait connaître. Pourtant, il y a parmi nous des membres de Léo-Lagrange, de la Fédération nationale des foyers ruraux*, des Cercles Condorcet. Des fédérations comme la FFMJC sont membres fondateurs d’ATTAC. On trouve la Ligue de l’enseignement dans certains réseaux dont nous faisons partie, notamment sur l’éducation…
Pour moi, cette définition allait de soi : cela fait partie de mon histoire.
Pendant une vingtaine d’années, j’ai été président d’une association d’échanges internationaux, membre de ce qui est devenu le CNAJEP.
Cette volonté de s’inscrire dans une tradition historique s’est ensuite concrétisée par la demande d’agrément Jeunesse et Sports et par notre candidature au CNAJEP. C’était très drôle. Lorsque nous avons discuté avec les personnes chargées de présenter le dossier, elles nous demandaient
 : “Mais pourquoi voulez-vous être membres du CNAJEP ?” Elles ne comprenaient pas ! Je leur ai répondu : “Pour nous inscrire dans cette tradition.” Nous n’avions aucune arrière-pensée ! Nous avons d’ailleurs décidé de suivre attentivement leurs travaux.

La pédagogie dans les gènes

Fondamentalement, ATTAC ne fait que de l’Éducation populaire ! Nous sommes une sorte d’université populaire permanente et décentralisée. ATTAC s’est fixé pour objectif de changer le monde ; encore faut-il le connaître ! Nous avons créé un conseil scientifique pour débroussailler les questions et les porter devant les adhérents. ATTAC, c’est essentiellement de la formation et de l’information, de l’édition… Peut-être parce que Jacques Nikonoff et moi sommes fondamentalement des universitaires : nous avons ça dans les gènes !
Le grand révélateur de ce travail de formation a été le référendum. C’est un cadre exemplaire : on aura du mal à faire aussi “chimiquement pur” ! Lorsque ATTAC s’est constitué, la question européenne n’apparaissait
pas dans l’écran radar. J’ai tout fait pour l’y introduire. Les modules d’enseignement sur l’Europe ont toujours eu un énorme succès. Nous avons sensibilisé les gens aux questions européennes, puis organisé des sessions de formation de formateurs. Il existait donc un groupe de militants sensibilisés et formés pour intervenir sur la question du référendum. Je sentais qu’il y avait là une échéance capitale, sur laquelle on pouvait remporter une victoire.
C’est devenu un thème majeur à partir de la rentrée 2003. Quand le référendum a été décidé, on a continué à travailler : on a appelé à voter “non” seulement après la consultation interne des adhérents, en décembre 2004. On a vu surgir des groupes de travail extraordinaires dans les comités locaux, des gens qui, au début, n’y connaissaient rien et
qui produisaient des textes, des vidéos… Un véritable processus d’appropriation interne. Un cas d’école. Tout le monde était “sur le pont” : une réaction en chaîne, comme dans la physique nucléaire !