Entretien avec Alex Daenesi, Yabon Paname et Marc Sanchez
Propos recueillis par Valérie de Saint-Do
La deuxième édition du festival Art et squats s’est tenue du 13 septembre au octobre à Paris et proche banlieue. Bien que marquée par un bouillonnement d’initiatives et de lieux , et remarquée par la presse, cette édition 2003 s’est déroulée dans un contexte douloureux. Heurts avec les forces de l’ordre , absence totale de moyens et de soutien politiques.. Malgré des tentatives de dialogue et de conciliation, l’art des squats reste tout juste toléré à la marge. D’aucuns affirmeront que c’est précisément inhérent à leur démarche. D’autres souhaiteraient échapper à cette étiquette encombrante…
Bilan d’une année difficile avec Yabon Paname, du Carrosse, Alex Daenesi, de Baltazzart, qui ont les premiers lancé cette deuxième édition contre vents et marée, et Marc Sanchez, responsable des expositions au Palais de Tokyo, tous trois membres de l’association Interface qui œuvre à la reconnaissance de l’art des squats.
EXTRAIT – Lire l’intégralité du texte dans Cassandre/Horschamp 55
Résumé des épisodes précédents : en février 2002, une trentaine de squatters agacés investissaient le palais de Tokyo pour une conférence de presse improvisée marquant leur énervement face à ce qu’ils nommaient un faux squat. Devant l’injonction de prendre en compte les artistes squatteurs, le palais de Tokyo relevait le défi et organisait avec eux la première édition du festival Art et squats.
Non sans difficulté : conflits de culture, rivalités internes, et éclatement du festival en différents lieux, le Palais de Tokyo ayant choisi de ne présenter que la documentation historique sur les squats parisiens. Certains lieux, d’ailleurs, avaient choisi de boycotter le festival. Mais, demi-succès ou demi échec, cette première édition avait nimbé le festival d’une bonne aura médiatique. Créée dans son sillage, l’association Interface a tenté, une année durant, un dialogue délicat avec la mairie de Paris pour négocier baux précaires et conventions, voler au secours des expulsés, et tenter d’organiser Art et squats II dans de meilleures conditions, en revendiquant le prêt d’un lieu-pôle pour le festival.
Les négociations n’ont pas abouti ; Art et squats II s’est lancé sans moyens et sans la caution institutionnelle du Palais de Tokyo. La Willy’s party qui marquait le lancement du festival à Vitry, en hommage au musicien Willyman, disparu cette année, a dû affronter les forces de l’ordre et la saisie du son.
Les squatteurs persistent et signent : à chaque expulsion ont répondu une ou plusieurs ouvertures (1), et l’effervescence artistique fut au rendez-vous de la deuxième édition. L’entretien fut réalisé au Carrosse, habillé pour l’occasion par la treille de paille et d’objets invraisemblables et acidulés conçue par Yabon et montrant une dizaine d’artistes. Ce lieu ouvert par Pascal Hollemaert en décembre dernier est une conquête emblématique du combat des squats : un jugement sans précédent a autorisé les artistes à rester moyennant une contrepartie modique. Cette jurisprudence marquera une étape essentielle si elle est confirmée en appel. Réponse en décembre.
(À Alex Daenesi et Yabon)
Juste avant l’été, une certaine incertitude planait encore sur le festival Art et squats : absence de lieu central, et de moyens… Comment et pourquoi avez -vous décidé de l’organiser « à l’arraché » ?
Yabon Paname : L’an dernier, la création d’Interface a été très positive ; on a écrit une charte, puis entamé des négociations avec les politiques. En juin, on n’avait pas avancé, et le festival était en péril. Puis est intervenu le suicide de Willyman,… À partir de là, avec Alex et le collectif Mas I Mas, on a décidé : « de toutes façons, on le fera ». Ça a été une aventure de trouver une grande friche en banlieue, puis on a proposé à Interface de travailler avec nous pour motiver et coordonner les lieux.
(À Marc Sanchez) : Art et squats 1 avait été marqué par le soutien affrmé du Palais de Tokyo. Pour quelles raisons était-ce important de vous impliquer l’an dernier, et pourquoi cette absence en 2003 ? ?
Marc Sanchez : L’an dernier, il était important d’en être, parce que jamais une institution n’avait osé se mouiller avec les artistes des squats dans un projet commun. Nous voulions affirmer notre différence en aidant ces artistes à construire un projet, à communiquer. Le palais de Tokyo, qui venait d’ouvrir, était sous le feu des médias ; il fallait que cette lumière rejaillisse du côté des squats.
C’est pour les mêmes raisons, qu’un an aprés, nous avons souhaité être en retrait. Je n’ai cessé de répéter qu’il est souhaitable pour Interface, et pour les artistes des squats, de ne pas apparaître comme dépendants d’une institution, de montrer que ces collectifs d’artistes sont capables de s’organiser seuls pour monter un projet. C’est un pas en avant dans la reconnaissance, qui contraint à admettre qu’il existe quelque chose de viable dans leur situation. On en est loin !
Je suis présent aux réunions d’Interface depuis un an et demi. On me demande si c’est en mon nom ou au nom du Palais de Tokyo. La réponse est : les deux ! Je suis là sur mon temps professionnel, et quand le Palais de Tokyo peut donner un coup de main, il le fait. Mais nous ne souhaitons pas être organisateurs et apparaître d’une manière prédominante.
Interface a été plus coordinateur qu’organisateur de cette édition. Peut-on parler réellement d’une initiative collective ?
Yabon Paname : J’ai toujours la même réponse : le mouvement des squats existait déjà, il y a une vingtaine d’année, avec Art cloche, avant que nous ne soyons là… Interface lui donne une autre visibilité ; c’est un lieu où des gens apportent leur expérience, mais dont les acteurs seraient plus efficaces sur le terrain. Même si des gens plus diplomates que moi s’y sont essayés, s’adresser aux politiques n’a rien donné : on l’a constaté en six mois ! C’est le sens de notre initiative d’un festival à l’arraché : n’oublions pas ceux qui connaissent le terrain ! On sait trouver un lieu et gérer quatre ou cinq mille personnes. Écoutez les anciens !
Alex Daenesi : Il faut persévérer dans la voie diplomatique, pour essayer de sortir d’une situation sociale difficile, et nous devons aussi continuer sur le terrain. Pour Arts et squats II, on n’avait ni moyens, ni lieu, ni argent, mais la passion de faire quelque chose qui reste dans la mémoire des gens. J’espère que l’an prochain, la mairie aura une autre attitude envers des artistes, qui, même squatters, sont capables d’organiser de gros événements, avec beaucoup de risques. Même si nous avons été un peu bloqués par les forces de l’ordre pour réaliser ce que nous voulions au niveau artistique !
Vis-à-vis de l’institution Palais de Tokyo, l’attente était celle d’une légitimation du contenu artistique. J’entends régulièrement les artistes se plaindre de ne voir les squats qu’à la rubrique société, sans aucune critique des contenus. Quel est le regard porté par le Palais de Tokyo sur l’art des squats ?
M.S : Nous avons toujours dit que nous ne ferions jamais une « exposition des artistes des squats, de même que nous ne ferons jamais une exposition des artistes de Berlin, ou des artistes blonds et belges ! Une situation sociale n’est pas le critère que nous retenons pour construire un projet d’exposition. Nous regardons ceux des squats comme les autres artistes, sans favoritisme, ni exclusion. Faire des choix, c’est notre travail, avec un programme limité, peu d’espace. Il y a des artistes dans les squats dont nous pourrions montrer le travail . Nous ne l’avons pas encore fait. Mais il y a beaucoup d’autres artistes que nous n’avons pas montré ! J’espère que nous pourrons faire une exposition avec un artiste dont nous pourrons dire qu’il travaille aussi dans les squats, mais ce ne sera pas le critère de choix.
1. En un an, Boliveart, le Théâtre de Fortune, les Falaises, l’Espace Cyrano, les Carrières Mainguet, Le Chardon dans la savane, In Fact, le Floquet’s, Myrrha, La Taverne des Signes, Le Théâtre 347, La Tombe Issoire , la Manufacture du nouveau monde, Le Ballastr et Le Gousset vide ont fermé. Le Carrosse, le Théâtre de verre, Le 17e Parallèle, la Maison républicaine O Génie (en attente de jugement), La Tour ont ouvert. Art et Toit est en attente de relogement. Chez Robert Electrons Libres (Rivoli) risque d’être déplacé pour travaux. Le Théâtre de verre et Alternation, propriétés de la mairie de Paris, attendent d’être fixés sur leur sort.
Interface : www.inter-face.net