M-P Bouchaudy : C’est une alliance qui peut paraître curieuse, et c’est ce qui est intéressant. Pour beaucoup, aujourd’hui, une revue qui s’occupe d’art et de théâtre et une fédération d’éducation populaire, ça ne va pas très bien ensemble. Depuis un certain nombre d’années, la rupture a été telle dans l’opinion et surtout dans le milieu culturel, entre les artistes et les professionnels de la culture (à qui on avait d’une certaine manière légué ces questions-là comme si ça ne pouvait pas intéresser d’autres parties de la société), et une fédération d’éducation populaire qui était reléguée du côté du socioculturel, cette rupture nous paraît aujourd’hui ne pas avoir beaucoup de sens. Pour une fédération d’éducation populaire, la question de l’art et de la société est fondamentale, elle est quasiment même à l’origine de la création de ces fédérations, puisque leur but et leur vocation initiale était de former des citoyens et ça reste on ne peut plus d’actualité aujourd’hui.
Pourquoi ces Rencontres ? Pour essayer de renverser les questions et de sortir des clichés qui, ces dernières années, enferment les gens dans des cases, essayer de sortir des corporatismes pour parler ensemble des questions d’art et société. Même dans une fédération d’éducation populaire où les idées d’accès à la culture ont été très développées dans un souci d’émancipation des citoyens, dans le souci d’aller vers le progrès. Nous avons beaucoup travaillé sur la démocratisation en se disant qu’il fallait lier les dimensions du « voir« , du « faire », du « pratiquer » mais ces questions de politique de démocratisation n’ont pas donné les effets espérés. Dans chaque enquête sur la pratique culturelle des Français, on constate qu’il n’y a pas de gros développement des pratiques. Aujourd’hui la question se pose différemment, il s’agit de démocratie culturelle : d’essayer de lier les dimensions artistique, sociale et politique dans un souci de démocratie : comment offrir des oeuvres à des gens à qui l’on ne donne pas une place dans la société, comment les faire participer à une culture qui serait partagée.
Il s’agit souvent d’amener les signes d’une culture dominante auprès d’individus qui n’ont pas d’espace pour exprimer leur propre culture. Donc, l’initiative de Cassandre a rejoint notre réflexion et nous avons souhaité ouvrir un espace pour rendre visibles les réalisations qui relient aujourd’hui ces questions d’art, société, politique d’une autre manière, c’est-à-dire où les artistes prennent en compte les individus auxquels ils s’adressent ; où il n’y aurait pas d’un côté des personnes qui travailleraient sur l’art pour l’art et de l’autre côté des gens qui travailleraient sur le social pour le social mais où l’art interroge le social et où il se passe des rencontres qui nous semblent riches et qui ouvrent un avenir de l’action culturelle qui serait différent de ce qu’on a vécu jusqu’à maintenant. C’est ambitieux, car ce qui est important c’est de rendre visible et donc de créer de nouveaux rapports de force. C’est pourquoi nous avons choisi, au cours de ces Rencontres, de faire intervenir beaucoup de monde afin de montrer que de nombreux acteurs, qu’ils soient sociaux ou culturels, se posent ces questions, agissent sur le terrain, pour que ces actions apparaissent, et que l’on parvienne à transformer les rapports entre institutions et associations.