Du partage des terres artistiques

Par Thomas Hahn

Pourquoi les théâtres publics sont-ils fermés tout l’été ? Pourquoi leurs directeurs refusent-ils, pendant qu’ils sillonnent Avignon et les plages, d’accueillir ces compagnies précaires qui cherchent des espaces d’expression ?

Au Théâtre 14 – Jean-Marie Serreau, Susana Lastreto
et son GRRR (Groupe rire, rage et résistance) se sont engagés cet été pour la deuxième fois à insuffler une âme latine à ce théâtre sobre et discret du XIVe arrondissement de Paris. Emmanuel Deschartres a bien voulu leur laisser les clés des lieux jusqu’à la rentrée. Le GRRR « gère le théâtre et l’anime ; il est totalement indépendant. Nous faisons la programmation, disposons des clés, répondons au téléphone etc. » L’exemple d’un théâtre public qui fonctionne toute l’année reste rarissime. « Nous avons démarché beaucoup de théâtres avant de trouver en Emmanuel Deschartres un directeur prêt à mieux partager les outils existants. »

Susana Lastreto a essuyé les réponses négatives tirées d’un argumentaire standard : « On nous a dit qu’il n’y aurait pas de public en été mais aussi, plus clairement : « Pourquoi donnerais-je mon théâtre à des gens que je ne connais pas ? » Ce à quoi j’ai répondu : « Il s’agit d’argent et d’un outil publics et pas de votre théâtre personnel ; vous pourriez commencer par inviter une compagnie que vous connaissez et en laquelle vous avez confiance. » »

Au Théâtre 14, Lastreto partage à son tour. « Nous sommes trois compagnies et pendant un été, nous fonctionnons comme une troupe.
Et la porte est ouverte pour des artistes qui veulent participer en lever de rideau. » Le GRRR a animé en juillet et août 2003 des ateliers de théâtre accueillant majoritairement des habitants du XIVe arrondissement. Le GRRR/Théâtre 14 est un modèle de lutte pour redonner aux artistes le contrôle des outils artistiques.

« L’argent qui va encore à la culture parvient entre les mains de non-artistes, passés maîtres dans la pratique du pouvoir culturel », analyse, non Susana Lastreto mais Karine Saporta. La directrice du Centre chorégraphique national de Caen, secouée par la lutte
des intermittents, analyse la précarité les artistes sous un jour plus politique encore : « L’on ne se pose plus aujourd’hui la question de savoir quels moyens il convient de donner à tel artiste en fonction de la nature de son travail et de sa création. On se demande quel directeur affecter à telle structure étant donné ce qu’elle représente
politiquement. Or les experts du pouvoir culturel gèrent aujourd’hui les moyens et les structures selon un principe fondamental qui consiste à ne laisser sous aucun prétexte un auteur s’emparer de la moindre responsabilité dans le dispositif. Tout est fait pour que l’artiste ne puisse accéder à une place forte où il pourrait abandonner un peu de sa fragilité, de ses souffrances (matérielles et immatérielles).