Editorial

Par Nicolas Roméas

L’explosion dévastatrice à laquelle nous assistons – celle d’une bombe
à fragmentation – éclaire les alertes de Cassandre sur le délitement d’un service public
de la culture miné par l’absence d’une prise en compte rigoureuse des enjeux. Peut-être
est-il temps de l’entendre, cette harassante prophétesse…

Que dit-elle aujourd’hui ?
Elle dit ce qu’elle a toujours dit sur la dimension politique et sociale de l’art. Elle dit
aussi que dans les moments de grands rassemblements face à un danger commun, il faut d’autant plus lutter contre la confusion et l’amalgame.

Elle dit (surtout aux jeunes générations) qu’il faut s’affranchir de la désastreuse illusion selon laquelle les coups portés à notre système public de la culture et aux mécanismes
de protection des acteurs de l’art seraient nécessairement déclencheurs d’une réflexion
en profondeur.

Cette illusion, dit-elle, est doublement dangereuse.
Non seulement parce qu’elle induit l’idée qu’un violent coup de pied au cul suffirait à
susciter un vrai débat sur la place de l’art dans notre société, mais aussi parce qu’elle
laisse entendre que des gens qui dans leur pratique ont toujours été largement indifférents à sa dimension éthique et politique, seraient soudain sincèrement « engagés ».

La question de l’art dans la société, c’est chaque jour qu’il faut la vivre. Pas uniquement dans les moments de crise apparente où nombre d’acteurs se réveillent en sursaut pour
afficher un engagement qui, au quotidien, manque cruellement à leurs actions. La vraie crise est toujours présente dans nos vies. Certains s’y confrontent depuis des années
dans les « lieux de la difficulté », avec des personnes incarcérées, dans des hôpitaux
psychiatriques ou d’autres « déserts culturels » où le geste de l’art peut retrouver son sens collectif. Ceux-là, même extrêmement talentueux, ne font pas toujours événement.

Si la division est un risque, l’unanimisme en est un autre, non moins inquiétant.

Car la question de la place du geste artistique dans notre civilisation ne se pose pas depuis trois mois. Et contrairement à ce que pensent certains et à ce que d’autres ont intérêt à faire croire, la réflexion ne peut être menée à un seul et même niveau. Il est impératif, si l’on veut obtenir quelque résultat, de travailler sur deux plans d’analyse distincts. Sous peine
de retomber dans une confusion inextricable et délétère, la réflexion sur le sens doit primer. L’expérience et l’histoire le montrent, lorsqu’on s’attaque en premier lieu à des sujets
techniques, le risque corporatiste n’est jamais loin. Et la confusion entre ceux qui luttent pour un art en prise sur l’époque et ceux qui surfent opportunément sur la vague
d’un « mouvement » auquel adhère la quasi-intégralité du monde culturel français, ne peut que gagner du terrain. Au détriment de nos idées.
Plusieurs déclarations contradictoires l’ont montré, la situation est réellement complexe.

Pour que des prises de position sur les problèmes économiques et statutaires qui en découleront soient armées face au réel, les débats sur l’éthique et le sens doivent être d’abord mis au premier plan. C’est pour faire publiquement avancer cette réflexion de fond
que REFLEX(E) a créé le PARLEMENT POUR LA DÉMOCRATIE CULTURELLE ET ARTISTIQUE,
dont la charte et les modalités de fonctionnement et d’adhésion sont détaillées dans
son cahier N° 2, que vous pouvez nous demander.

P.-S. Notre association Paroles de théâtre-Cassandre n’est pas épargnée par le séisme. Nous n’en persistons pas moins, avec l’échéance d’une installation au Couvent des Récollets à Paris, où prendront place l’ensemble de nos activités. Les différents chantiers que nous menons nous contraignent à passer dès le prochain numéro à un rythme de parution trimestriel. Avec une pagination étoffée.
Et de nouvelles formes éditoriales seront gratuitement accessibles à nos abonnés.